“La gastronomie est l'art d'utiliser la nourriture pour créer le bonheur” Theodore Zeldin

Histoire et origine des pâtes alimentaires


Les pâtes alimentaires sont des aliments fabriqués à partir d'un mélange pétri de farine, de semoule, de blé dur, d'épeautre, de riz ou d'autres types de céréales, d'eau et parfois d'œuf et de sel. « Les pâtes » peuvent également désigner les plats dont les pâtes sont l'ingrédient principal, servies avec de la sauce ou des assaisonnements. Elles présentent plusieurs variétés, selon la diversité des formes comme les nouilles, spaghetti, coquillettes, ou macaronis.

En Asie, on fabrique également les pâtes avec de la farine de blé tendre, de la farine de riz, de la farine de soja, du haricot mungo, etc.

Elles se présentent sous des formes très variées, lames (lasagnes), rubans (nouilles en français, linguine ou tagliatelle en italien, 面条, miantiao en chinois), fils (vermicelles, spaghettis), tubes (macaronis), coussins (ravioles en français, ravioli en italien, 饺子jiaozi en chinois) etc. Les pâtes sèches ont une teneur en eau de 12 %.

La dénomination pâtes alimentaires aux œufs ne peut être utilisée que pour les pâtes contenant au minimum, par kilogramme de semoule, 140 g d’œufs entiers ou de jaunes.

Il existe aussi des pâtes au blé complet.

Les pâtes sèches présentent de nombreux avantages : aliment économique, facile à conserver grâce à la déshydratation, énergétique et facile à cuire puisqu'il suffit d'une casserole d'eau.

Les pâtes fraiches sont cependant d'un goût plus marqué. Les Français, les Chinois et les Italiens, notamment, continuent de produire artisanalement des pâtes fraiches, qui ont un goût différent de celui des pâtes déshydratées et empaquetées, mais leur apport nutritif n'est pas sensiblement différent.

Les pâtes sèches vendues dans le commerce sont généralement composées d'eau et semoule de blé dur, avec un taux d'humidité inférieur à 12 % ; certaines contiennent des oeufs. La diversité des formes des pâtes sèches provient du fait qu'elles sont extrudées : on fait passer par pression le mélange d'eau et de semoule à l'état pâteux à travers une formeuse. Les différentes formes sont obtenues à partir de buses particulières.

La composition des pâtes fraîches est règlementée en France. L'appellation « pâtes fraîches aux œufs frais » suppose la réunion de trois conditions : un taux d'humidité supérieur à 12%, une semoule de blé dur de qualité supérieure classée, et un minimum de 140 grammes d’œufs par kilogramme de semoule.

Le procédé de fabrication des pâtes fraîches est appelé « laminage ». Le mélange pâteux est aplati jusqu'à l'obtention d'une fine feuille d'environ un millimètre d'épaisseur. Ainsi, on parle souvent de double laminage pour les raviolis dits à « quatre coins » pour lesquels deux feuilles de pâtes sont superposées, puis scellées, après l'injection de la farce. À l'inverse, on parle de raviolis « coussins » pour ceux fabriqués à partir d'une seule feuille de pâte. La feuille de pâte peut aussi être passée à travers une machine à découper des rubans (fettuccini).

Le terme pâte vient du bas-latin pasta, de même sens. Les pâtes réputées les meilleures viennent d'Italie, bien que les Rāmen japonaises ou les pâtes chinoises soient aussi très réputées.

En octobre 2005, des scientifiques de l'Académie des sciences de Pékin ont découvert sur les rives du fleuve Jaune (黄河 Huang He), dans le nord-ouest de la Chine, les plus anciennes pâtes du monde, vieilles de 4 000 ans1. Ces nouilles avaient été faites à base de millet.

Une légende raconte que, de retour de son voyage en Chine en 1295, Marco Polo en ramena à Venise et leur donna une nouvelle notoriété, cependant, des tablettes cunéiformes, traduites en 1994, leur attribuent une paternité culinaire mésopotamienne vieille de plusieurs millénaires.

 Ve millénaire av. J.-C. : dans la zone de la Chine actuelle, il existe des témoignages de produits similaires aux pâtes.

 Ve siècle av. J.-C. : premières références aux pâtes sur des bas reliefs étrusques. Il y est décrit la procédure de fabrication et les ustensiles utilisés.

 Ve siècle : un texte d'Apicius décrit un mets qui ressemble à s'y méprendre aux lasagnes.

 800 : On trouve des traces de pâtes sèches confectionnées à partir de semoule de blé dur vers 800. Elles ont été introduites par les conquérants musulmans de la Sicile2, et au XIIe siècle les Républiques maritimes de Gênes et de Pise commercialisent des pâtes sèches3.

 1154 : le géographe arabe Al Idrisi fait référence dans ses écrits aux pâtes de Trabia, un village auprès de Palerme. Les caravanes qui traversaient l’Empire arabe se nourrissaient déjà de pâtes séchées. C'est l'une des premières traces écrites relative aux pâtes.

 1295 : la légende raconte que Marco Polo rentrant à Venise après son fabuleux voyage en Chine, a introduit les pâtes en Italie. Cependant, dans son livre il Milione celui-ci dit au sujet des lasagnes faites en Chine qu’elles sont « ...bonnes, autant que celles que j'ai mangé tant de fois en Italie ».

 XIIIe siècle : la Papauté établit des standards de qualité pour les pâtes.

 XIVe siècle : les pâtes commencent à être farcies.

 XVIe siècle : les pâtes sont importées en France à la suite du mariage de Catherine de Médicis avec Henri II de France.

 1933 : l’Italie met au point une loi réglementant le commerce et la production des pâtes.

 1934 : en France, une loi impose de fabriquer les pâtes alimentaires à partir de semoule de blé dur.

Les formes et les couleurs sont innombrables. Les pâtes ont différentes formes pour que la sauce accroche mieux et ne reste pas au fond de l'assiette (comme parfois avec les spaghettis, par exemple). Encore plus que la forme, l'aspect de surface de la pâte joue pour accrocher la sauce : la qualité de la semoule et du blé qui la compose entre ici en jeu. Plus la surface est rugueuse, rappelant la base de semoule, plus la pâte accrochera la sauce. On peut les classer dans les principales catégories suivantes :

Pâtes longues (pasta lunga), par opposition aux pâtes courtes : Spaghetti, nouilles, spaghettini, linguine, bucatini (trouées), fusilli lunghi, cheveux d'ange (capellini)
Rubans (fettucine) : Nouilles plates, tagliatelles, pappardelle, tonnarelli, Fettuccine, tagliolini, paglia e fieno (paille et foin)
Tubes (tubi) : Cavatappi, Penne lisce (lisses), penne rigate (rayées), penne ziti, pennoni, garganelli.
 Chifferi, gigantoni, rigatoni
Tubes en coude (tubi) : Macaronis, coquillettes, pipe (lisce, rigate, etc.)
Pâtes farcies (pasta ripiena) : agnolotti, capelletti, cannelloni, jiaozi, pansoti, panzerotti, pierogi, pelmeni, ravioles, raviolini, ravioli, tortelloni, tortellini.
Lasagnes
Formes fantaisies, Pâtes farcies et parfumées Gnocchis, malloreddus, escargots, oreilles, radiateurs, crêtes de coq, Coquillages de tailles et formes diverses, Roue, hélice, strozzapreti, farfalle (nœud papillon)
Pâtes à potages (pasta per minestra) : Accini di pepe, alfabetini, anelli, farfaline, quadrucci, ramen, risoni, la mian stelline, tubetti, vermicelles


Les couleurs s'obtiennent par un mélange d'un ingrédient coloré à la pâte :

 Rouge : tomate ou betterave
 Vert : épinard ou basilic ou persil ou ortie
 Jaune : safran ou jaune d'œuf
 Brun : champignon ou cacao amer
 Noir : encre de seiche
 Bleu : bleu de méthylène ou curaçao


Avec 28 kg par an et par personne, l'Italie est de loin le plus gros consommateur mondial suivi du Venezuela et de la Tunisie avec moins de la moitié par habitant.

L'Italie, avec 3 191 505 tonnes pour l'année 2005, est le premier producteur mondial suivi des États-Unis et du Brésil avec respectivement 2 millions et 1 million de tonnes. 50 % de la production italienne est exportée.

La cuisine chinoise utilise un grand nombre de variétés de nouilles (traditionnel 麵, simplifié 面, pinyin miàn).

Mian sont les nouilles de blé alors que 粉 ou fen sont celles de riz. Contrairement aux pâtes italiennes, les nouilles chinoises sont préparées avec de la farine et non de la semoule. La matière première est intimement liée à l'origine géographique : le riz dans les régions où la riziculture est prédominante, le blé ailleurs.

La pâte fraîche peut-être découpée de multiples façons : couteau, ciseaux, baguettes...

Il existe en Chine des restaurants de quartier spécialisés dans les pâtes fraîches, faites à la main sans aucun outil de découpe. Ces pâtes sont appelées lā miàn ce qui signifie « pâtes étirées ». Les restaurants de lā miàn sont tenus par des Hui, des Chinois musulmans, originaires de l'Ouest de la Chine. Ils ne vendent pas de plats à base de porc, mais ils vendent souvent de l'alcool. La fabrication des pâtes se fait à partir d'un pâton de farine de blé très souple, étiré et replié environ sept fois jusqu'à obtention d'une unique pâte fraîche, longue et fine, qui sera ensuite jetée dans un bouillon aromatisé pour être dégusté ensuite dans un bol accompagné de différents ingrédients comme de la viande séchée, des cacahuètes et des épices.

D'autres régions, les provinces de Shandong ou de Shanxi, ont pour tradition les nouilles au couteau (Dao Mian). On prépare un pâton de farine de riz en enroulant sur elle-même la pâte abaissée, jusqu'à atteindre la taille d'une bouteille de vin (standard à magnum). Puis le cuisinier fait sauter des copeaux de pâte directement dans l'eau bouillante, à l'aide d'une large plaque de métal aiguisée (couteau à légumes local). Dao Mian désigne le plat de la lame sur un sabre. Une fois cuites, les pâtes sont sautées dans un wok avec la garniture.

La nomenclature des nouilles chinoise est difficile à établir en raison de leur grand nombre et des différents dialectes du chinois. Chaque type de nouilles peut être écrit en pinyin et en mandarin, mais à Hong Kong et dans le Guangdong il sera connu par sa prononciation cantonaise, alors qu'à Taïwan, en Malaisie, à Singapour et outremer on utilise le hokkien à la place.

La forme des pâtes est, outre l'aspect visuel, importante d'un point de vue gustatif : une sauce liquide aura besoin de pâtes creuses pour emporter celles-ci, des pâtes cuites au four doivent pouvoir résister à un temps de cuisson relativement long que peut nécessiter l'accompagnement.
Il existe deux façons de cuire les pâtes : la cuisson à mi couvert à feu doux avec juste assez d'eau pour couvrir les pâtes et la cuisson al dente. La cuisson à feu doux exige moins d'énergie et elle était utilisée surtout en Italie du sud, région plus pauvre que le nord. De nos jours, les pâtes se cuisent al dente en Italie.

La quantité d'eau conseillée pour cuire les pâtes est d'un litre pour cent grammes de pâtes. Cette proportion permet d'éviter de refroidir trop l'eau de cuisson après l'ajout des pâtes et d'éviter une trop forte proportion d'amidon dans l'eau de cuisson. L'amidon qui se retrouve dans l'eau de cuisson est responsable de pâtes qui collent entre elles.

Les pâtes ne se cuisent que dans de l'eau en ébullition et à feu vif. Elles doivent être remuées durant la cuisson afin d'éviter qu'elles ne se collent. Selon une croyance tenace, une goutte d'huile d'olive dans l'eau de cuisson empêcherait les pâtes de coller entre elles. Ceci est parfaitement inutile puisque l'huile ne se mêle pas à l'eau, fût-elle bouillante. Néanmoins, une huile d'olive parfumera subtilement l'eau de cuisson et par la-même, les pâtes. D'autre part, à l'égouttage, le film d'huile très chaude donc très fluide qui va se déposer sur les pâtes pourra les empêcher de se coller entre elles en refroidissant dans le plat de service. Ceci n'est d'aucune utilité dans le cas d'une préparation à l'italienne où le plus souvent les pâtes égouttées sont directement jetées dans la poêle où cuit la garniture et mélangées à celle-ci.

Les pâtes ne se rincent pas après la cuisson. Cela aurait pour effet de les refroidir, et surtout de faire disparaître une quantité d'amidon indispensable à la liaison de l'accompagnement leur donnant une texture spécifique.

Bien que cela soit appliqué dans les cuisines industrielles, les pâtes ne se pré cuisent pas. Cette opération nécessite le rinçage, qui fait disparaître la quantité d'amidon nécessaire à la liaison de leur accompagnement et en modifient la texture.

Lorsque les pâtes sont à mi-cuisson, on peut les transférer dans une poêle ou une sauteuse dans laquelle se trouve l'accompagnement et sautées à feu vif. On ajoute de l'eau de cuisson des pâtes pour terminer la cuisson de celles-ci et les détendre. Cette étape fait la différence pour obtenir des pâtes savoureuses (qui ont pu prendre le goût de leur accompagnement), et une sauce légèrement liée (avec l'amidon que contient l'eau de cuisson).

Selon la définition officielle, les pâtes  dérivent d'un mélange pétri à base de farine ou de semoule de blé, appelé  pâton, qui  est détaillé en unités pouvant adopter des formes variées et devant être cuites à l’eau ou à la vapeur. 

Cette définition est toutefois insatisfaisante. De fait, elle exclut les lasagnes au four ou les raviolis frits voire les gnocchis et consorts qui ne partent pas d’un pâton pétri mais d’une panade plus ou moins liquide; ces farinages  sont pourtant considérés comme des paste

Elles se distinguent des autres grandes confections céréalières principalement sur deux points:

1. contrairement au pain ou à la galette (focaccia en italien, focacius en latin) qui sont cuits à la chaleur sèche (four, plaque), les pâtes se développent dans un milieu humide (eau, bouillon, vapeur). Les lasagnes al forno (dites aussi pasticciate) évoluent également dans un environnement acqueux; si la terrine dans laquelle elles cuisent est effectivement placée dans un four, les lasagnes baignent néanmoins dans une sauce généreuse. 

2. Les pâtes se distinguent, en outre, de la bouillie de céréales (surnommée papin voire porridge) qui cuisent aussi dans un liquide. Alors que la dernière est par définition informe, les premières reposent au contraire sur une pâte pétrie pouvant être modelée en formes diverses (fils, rubans, carrés, rectangles, billes, graines). 

Cependant, la frontière entre la bouillie et la pasta n’est pas toujours très nette. Ainsi, les gnocchis à la farine de froment se situent à cheval entre les deux confections. Ils sont en effet élaborés, comme la bouillie, à partir d’une pâte molle ne pouvant ipso facto pas être pétrie. Les gnocchis s’en distinguent cependant car la pâte n’y reste pas diffuse; elle est divisée en petites portions qui sont plongées dans une marmite d’eau frémissante au contact de laquelle elles se “formatent”. On retire les gnocchis au moyen d’une écumoire dès qu’ils remontent à la surface. Leurs cousins “germains” reposent sur le même principe: Knödel allemand, knedel et stiertsel arlonnais, strieble, spätzle et knoepfe alsaciens. 

Les avatars du maccherone illustrent parfaitement la confusion existant entre les genres. Il dérive de macco, désignant une bouillie de fèves et vise, à l’origine, aussi bien des gnocchis de céréales que des tagliatelles. Au XVIe siècle, le queux italien Scappi parle encore de minestra di maccaroni detti gnocchi.....

Si aujourd’hui, certaines pâtes sont confectionnées a casa (soit à la main, soit avec un appareil domestique), la plupart d’entre elles sont fabriquées mécaniquement dans des usines spécialisées. 

ll existe plusieurs catégories de pâtes.

1) Pâtes fraîches et pâtes sèches
Il y a, pour commencer, les pâtes fraîches (immédiatement prêtes à l'emploi) et les pâtes sèches (paste secche destinées à la conservation). 

2) les pâtes râpées, laminées, roulées, tréfillées
a. pâtes râpées ou émiettées
Les ancêtres sont sans conteste les pâtes râpées ou émiettées (cf. bappiru-s et risnatu-s mésopotamiens, tracta gréco-romains); il suffit de presser un pâton séché ou non contre un tamis grossier ou sur le fond d'une passoire afin de le réduire en bribes qui sont ensuite pochées

L'actuelle pasta grattugiata est confectionnée de la même façon : le pâton est râpé et les débris de pâte ainsi obtenu sont cuits dans un bouillon.

Les modernes trahanas sont fabriquées d'une manière légèrement différente avec une pâte abaissée par laminage au rouleau; la feuille est ensuite découpée en morceaux qui sont mis à sécher avant d'être émiettés contre un tamis. En somme, les trahanas relèvent à la fois de la famille des pâtes râpées et de celle des pâtes laminées. On les rencontre non seulement en Grèce mais dans les Balkans, au Proche et Moyen Orient.

Le procédé de l'émiettage/râpage de la pâte est sans doute né dans les milieux de la brasserie en Mésopotamie (tout comme en Egypte pharaonique d'ailleurs). La bière (Sikaru en Akkadien, kas en sumérien) est en effet brassée avec un pain préalablement émietté. Le kwas russe est toujours préparé de cette façon. Ce n'est donc pas un hasard s'il porte le même nom que son ancêtre sumérien.

b. pâtes laminées

La technique du laminage caractérise les pâtes de la seconde génération. Elle est sans doute née du monde greco-romain. L'abaisse appelée lagana (ou itria) sert notamment à réaliser des lasagnes pasticciate avant la lettre.

C'est de la Perse préislamique que semble provenir l'idée de découper l'abaisse en lanière plates plus ou moins fines. Les arabes la reprennent et l'approfondissent, comme en témoigne la littérature culinaire, élaborée à partir du X° siècle sous le règne éclairé des califes abbassides de Bagdad : les rhista-s, lakhsha-s et itriyya-s sont les ancêtres des modernes tagliatelles, fettucine (moins larges) et linguine (plus étroites encore).

Si désormais, ceux-ci sont le plus souvent fabriqués mécaniquement, d'aucuns sont toujours fait a casa. Depuis le Moyen Âge, les italiens utilisent une technique permettant d'accélérer le travail. Les abaisses sont enroulées autour d'un gros bâton qui est aussitôt retiré. Un saucisson de pâte est ainsi formé; il est découpé en rondelles plus ou moins larges qui, après avoir été débobinées forment des tagliattelles de différentes largeurs. 

Elles permettent ainsi de contrefaire des figures géométriques. Les actuels crozets savoyards, n'wasir-s tunisiens, quadrittino italiens, hilopittes grecs, mandels israéliens ont une forme carrée; ces pâtes peuvent aussi bien être faites mécaniquement qu'à casa. l'abaisse à hilopittes est, après avoir été enroulée et tronçonnée selon la technique italienne, découpée à la main en petits carrés d'environ 6 mm².

c. les pâtes roulées

A peu près à la même époque, apparaissent dans l'Empire maghrébo-andalou fondé le califat omeyyade de Cordoue au X° siècle, des nouvelles catégories de paste qui n'entrent pas dans la famille des pâtes laminées mais dans celle des pâtes modelées a manu. Celle-ci sont fabriquées en morcellant le pâton (non abaissé) en petites portions régulières, qui sont roulées sous les paumes de la main ou façonnées entre les doigts. Des formes diverses sont ainsi réalisées :

1° le célébrissime couscous imite les ultra-fines semoules

2° les fidaw-s façonnés sont 

- soit graniformes et ressemblent donc aux kritharaki grecs, puntalette (voire risoni) italiens ou pevide portugais (qui en dérivent étymologiquement); mais ceux-ci proviennent des usines et ne sont en principe plus préparés a manu.

- soit pisiformes. A l'instar des pisellini italiens (bien nommés) et cuscus portugais ( mal nommés: puisqu'il est plus gros que sont homonyme maghrébin et cuit à l'eau). Eux aussi, sont généralement de facture industrielle et donc rarement fait "main".

- soit vermiformes ; ces fidaw-s font font partie de la famille suivante: celle des itriyya-s (dits aussi atriyya-s en Occident). Leurs modernes descendants catalans, les fideus, sont désormais fabriqués mécaniquement.

3° Contrairement aux itriyya-s orientales, leur homologues occidentales sont roulées (et non découpées). Elles ne sont par conséquent pas plates mais cylindriques. D'aucunes ont la forme de dawida-s (= petits vers) et se confondent avec les fidaw-s vermiformes ci-dessus. En Italie, ils sont connus sous le nom de trophie qui, encore à ce jour sont roulés (contrairement aux vermicelles tréfillés). D'autres sont filiformes et évoquent les spaghettis (tréfillés).

Les modernes aletria ou alatria ibériques (surnommées capellini alors qu'elles se rapprochent plutôt des tagliolini ou cheveux d'ange) font, elles aussi, partie de la pasta tréfilée appartenant à la dernière génération.

d. pâtes tréfillées

Celles-ci entrent en scène à la fin du XVI° siècle; c'est alors que la presse à filière est inventée à Naples. Grâce à cette machine ingénieuse, la pâte est poussée à travers un disque en bronze perforé dont les trous ont la forme des paste que l'on veut obtenir : fils pleins plus ou moins fins (spaghettis, capellini, fedelini, dont le nom pourrait bien être dérivé de filo (les filei calabresi sont par contre des pâtes laminées, découpées en bandelettes plates et courtes, qui sont roulées sur elle-même),vermicelles courts ou longs, cheveux d'ange (tagliolini) - voire coquilles, tubes, cordes, lanières, plumes, tortillons etc.

On suppose qu'à la même époque apparaît un autre appareil : la chittara (guitare) qui, malgré son nom, évoque plutôt une harpe. Il s'agit d'un châssis en bois triangulaire sur lequel sont tendus des fils de fer serrés les un contre les autres; une feuille de pâte de dimension proportionnelle y est collée en sorte qu'elle se décompose en très minces et longues lanières ou taglierini (= fines tagliatelles) quoique dans le sud de la péninsule (Abruzzes, Pouilles), ces pâtes soient toujours fabriquées de cette façon, on les appelle incorrectement spaghetti alla chitara; elles ne sont en effet pas cylindriques mais plates.

3) Pâtes à potage, pâtes "à ragoût", pastacciutta

Ensuite, il y a les pâtes in brodo (= littéralement en bouillon, c'est-à-dire les pâtes à potage), les pâtes "à ragoût" qui en sont une variété et pastasciutte (égouttées).

A l'origine, les pâtes sont systématiquement servies dans un potage plus ou moins épais, qui peut aller d'un bouillon clair à un ragoût roboratif. Les pâtes "à ragoût" sont la spécialité, par excellence, de la gastronomie abbasside et magrébo-andalouse. Elles cuisent avec des matières végétales ou carnées dans un jus souvent tellement court qu'elles finissent par l'absorber complètement. Ces paste doivent donc de préférence être pauvre en amidon, qui donnerait de l'empois à la sauce finale.

Au bas Moyen Age, les pastasciutte se développent en Italie.

Les recettes anciennes ne distinguent pas toujours clairement paste in brodo, pâtes "à ragoût" et pastasciutte; elles prescrivent d'ailleurs de parsemer de fromage râpé (parmigiano grattugiato) les unes comme les autres.

Quant à l'incontournable salsa di pomodoro (= tomate) est plus récente et ne se généralise pas avant le XIX° siècle.

4) Les pâtes farcies et pâtes trouées

Les pâtes farcies (raviolis, cannellonis) et les pâtes trouées (macaronis) n'apparaissent pas avant la fin du Moyen Âge voire du début du Rinascimento.

5) Pâtes molles versus pâtes al dente

Pendant des siècles, les pâtes sont cuites longuement et ne sont donc pas al dente, comme aujourd'hui. Encore au XX° siècle, elles sont souvent mangées molles. Voyez les fameux macaronis à la cassonade très appréciés en Belgique il y a à peine quelques décennies. Le mariage pâte/sucre n'est cependant pas une spécificité belge; les chefs de la Renaissance en sont déjà adeptes et l'on probablement hérité des anciens. Certaines recettes antiques de tracta sont en effet sucrées; l'édulcorant utilisé est le miel, la canne (et bien sûr la betterave plus récente encore) étant alors alors inconnues.

6) Conclusion

Ce rapide parcours historique met complètement à néant la légende aussi fameuse que tenace d'un Marco Polo ayant ramené en 1296 les paste de Chine, alors qu'elles étaient connues depuis longtemps dans tout le bassin méditerranéen. 

En fait, la légende "marcopolienne" provient d'une mauvaise lecture des écrits du globe-trotter et avaient déjà fait l'objet de critiques au XVI° siècle; mais elles ne seront pas entendues et n'empêcheront pas, au début du XX° siècle, le Macaroni Journal, l'organe de presse de l'"American Macaroni Manufacturers Association", de la diffuser dans tout l'occident pour assurer sa propre propagande.

Il est vrai que la Chine possède également une longue tradition pastière dont les origines ne semblent toutefois remonter qu'au III° siècle après notre ère; les traces plus anciennes restent sujettes à caution. Ainsi, cette découverte récente par des archéologues chinois de lacets, d'un diamètre de 0,3 cm et d'une longueur de 50 cm, dans un bol en terre cuite qui provient du site de Laija dans le nord-ouest de la Chine (près du fleuve jaune), daterait de -2000 ans. Les experts chinois y voient des nouilles faites avec de la farine de millet. Leur argumentation semble toutefois plus spéculative que scientifique.

Le plus vieux livre de cuisine du monde est d'origine babylonienne: trois tablettes  écrites en akkadien et caractères cunéiformes,  datant d'il y a 4000 ans. Jean Bottéro les a traduites en français à la fin du XX° siècle et rééditées en 2002.

Ces textes mentionnent plusieurs types de pâtes : risnatu, bapirru, qaiiatu.

Risnatu et bapirru sont synonymes. Le premier est un mot akkadien dérivant de rasanu, tandis que le second est sumérien et provient de bappir. Ces verbes sous-entendent que de la farine (de blé voire d’orge, les céréales autochtones de Mésopotamie) est pétrie avec de l’eau afin de réaliser un pâton. Par ailleurs, les expressions hasalu et napu utilisées par les recettes impliquent, d’une part, que le patôn est râpé contre un tamis et, de l’autre, que les paillettes ainsi obtenues sont pochées dans un me (consommé). Par voie de conséquence, le bappiru/risnatu est à la base d’une pâte émiettée appelée pasta grattugiata en italien. 

Quant au qaiiatu, il dérivé de qalu signifiant grain torréfié et peut, lui aussi, être émiétté. Il se rapproche dès lors de la fregola sarde également grillée et émiettée ou roulée.

Risnatu est, par ailleurs, à l'origine de la rishta arabo-perses, se rapportant également à des pâtes à potage; celles-ci ne sont toutefois pas émiettées mais découpées dans une abaisse.

Dans la littérature gréco-latine, les pâtes apparaissent sous trois dénominations: tracta(e), lagana et itria

1. Les tractae (ou tracta) 

La compilation du IVe - Ve siècle de notre ère, connue sous le nom de De re coquinariae, attribuée erronément au gastronome romain du 1er siècle Apicius (elle a été éditée et traduite en français par Jacques André en 1974), cite à plusieurs reprises des tractae. Elles sont de différentes espèces. Quelques recettes, conseillent d'émietter (confringere) un pâton préalablement séché et ensuite de pocher les "miettes", à l'instar donc des risnatu-s/bappiru-s. Deux recettes ont été réalisées , le pullus tractogalatus et le minutal

2.Les lagana et les itria 

Dans la littérature gréco-romaine, le laganum (terme latin, correspondant au laganon ou itrion grec), désigne généralement une fine abaisse obtenue par laminage. Elle peut aussi bien être cuite en milieu humide qu'à la chaleur sèche. Les lagana pochés sont les ancêtres des lasagnes, qui en dérivent du reste étymologiquement.

Le mot lagana (lagane) est d’ailleurs encore utilisé dans certaines régions de l’Italie méridionale (Calabre, Pouilles)

De re coquinaria employe les lagana pour fabriquer deux patina (= terrines) : patina cotidiana et patina apiciana qui sont fondées sur une superposition de lagana alternant avec différentes couches d'une farce humide composée de plusieurs chairs (poulet, porc, poisson) mélangées avec des oeufs et nappée d'une sauce à base de garum (saumure de poisson qui subsiste notamment en Italie sous le nom de colatura di alici (= anchois) de Cetara (près de Salerme), du vin, du vin de paille, de l’huile d’olive. Ces lasagnes présentent la particularité d'être cuites en croûte, comme un pâté... et inaugurent les préparations de “ pasta dans la pasta” qu’on retrouvera du Moyen Âge à nos jours .

Appelées indifféremment rishta-s, laksha-s, itriyya-s dans les innombrables livres de cuisine (kitab al-tabikh) rédigés à l'époque abasside (dont les spécimens les plus connus ont été traduits en anglais voire en français), les paste arabo-perses s’inscrivent dans le prolongement du laganum, qui est désormais découpé (au couteau) en lanières plus ou moins étroites (genre tagliatelles/ fettucine/linguine). Les rishta-s, itriyya-s, laksha-s sont cuites dans un bouillon de viande épicé et gras, petit feu, assez longtemps, pour qu'elles se gorgent de liquide et de matière grasse. Ce sont donc des paste in brodo, du type pâtes "à ragoût". Elles sont d'ailleurs souvent associées à de la viande (boeuf, agneau ou poule) et des légumineuses (pois chiches, lentilles). 
    
Si laksha, qui est dérivé du perse lakhshidan (= glisser, faisant allusion à la consistance visqueuse qu'elle acquiert après son passage à l'eau), a disparu du vocabulaire moderne, rishta (provenant de l’akkadien risnatu) subsiste notamment en Iran (reshteh) où elle désigne toujours une pâte "à ragoût", plus précisement du genre fettucine. Enfin, le terme itriyya qui est une sémitisation du grec itria et s'est également maintenu jusqu'à ce jour dans différentes régions, y compris d'Europe.

Les paste maghrébo-andalouses sont pour l'essentiel des pâtes roulées ou façonnées a manu. On y distingue plusieurs familles: principalement couscous, fidaw-s , et attriyya-s /itriyya-s. 
Ils sont mentionnés dans deux célèbres traités culinaires: Kitab al-Tabikh fi-l-Magrib wa al-Andalus fi 'asr al-Muwwahaaidin, un manuscrit anonyme traduit en espagnol par Ambrosio Huici Miranda (en 1966): Traduccion espanola de un manuscrito anonimo del siglo XIII sobre la cocina hispano-magribi (qui remonte toutefois au XIIe siècle) et le Fudalat al-Khiwan écrit entre 1238 et 1266 par Ibn Razin Tujibi (traduit en français sous le nom : Les délices de la table et les meilleurs genres de mets par Mohamed Mezzine et Laila Benkirane en 1997).

Ces traités ont été analysés par Mohamed Oubahli dans La main et le pétrin, Alimentation céréalière et pratiques culinaires dans l'Occident musulman au Moyen Âge, Thèse de doctorat non publiée, présentée à l'E.H.E.S.S. (année académique 2002-2003).

1. Fidaw-s

Les fidaw-s sont sont en principe façonnés entre les doigts. Si leurs formes sont variées, ils se caractérisent tous par un petit voire tout petit calibre. Les fidaw-s les plus courants sont vermiformes (ils n’ont cependant qu’un lointain rapport avec les modernes vermicelles filiformes, qui sortent de la presse à filière et sont généralement longs voire très longs) et graniformes ou risiformes. Il existe aussi des espèces pisiformes, surnommées mhammis lorsqu’elles sont minuscules; celles-ci se rapprochent dès lors des couscous à gros grains.

Ibn Razin décrit le mode de fabrication des fidaw-s graniformes: une pâte faite de semoule, de sel et d'eau est pétrie; on la roule entre les doigts petit à petit jusqu'à ce qu'elle soit réduite en forme de grains de blé. Ceux-ci sont séchés au soleil avant d'être cuits dans un bouillon plus ou moins consistant. 

Les autres fidaw-s sont travaillés de la même façon; seule la morphologie change

2. Atriyya-s / itriyya-s 

Contrairement à leurs homologues orientales (itriyya-s), les atriyya-s maghrébo-andalouses sont obtenues par roulement. Elles ne sont donc pas plates mais sont cylindriques. Ce qui explique sans doute la nuance intervenue dans leur orthographe. 

Ibn Razin en donne également la recette quoique de manière lapidaire: “Il n’y a qu’à pétrir vigoureusement de la semoule ou de la farine avec de l’eau et un peu de sel, l’étaler sur une table ou une planche longue; rouler la pâte avec les mains le plus finement possible; la faire sécher au soleil”. 

L’auteur a manifestement oublié de préciser que l’abaisse doit être détaillée en bandes avant d’être roulée.

3. Le couscous...

Le couscous fait également partie des pâtes alimentaires. D'après Ibn Razin, il est fait a peu près de la même manière que les attriya-s. De la semoule, de l’eau et du sel sont pétris ensemble; la pâte est réduite en billes minuscules par roulement sous les paumes de la main; elles ne sont pas cuites dans de l’eau mais à la vapeur. Attesté depuis le Xe siècle, le couscous serait d’origine berbère. Au Maghreb, la fabrication du couscous continue de se faire conformémentà la méthode ancestrale, du moins au sein des familles. Ce couscous purement artisanal n'a rien à voir avec son abominable ersatz industriel vendu dans tous les supermarchés du monde.

Du fait qu’il est cuit à la vapeur, le couscous n’est pas une pastasciutta ni une pasta in brodo ni une pâte “à ragoût”; il est à la base d’un mets roboratif parfaitement unique, composé d’éléments solides et liquides .

Le plus ancien livre de cuisine turc date du XV° siècle est en fait une traduction du Kitab al-Tabikh élaboré par Muhammad al -Bagdhadi au XIII° siècle. Le manuscrit turc qui vient seulement d'être analysé (par Stéphane Yerasimos en 2001) semble donc confirmer que la cuisine turque est d'inspiration arabe et donner tort à ceux qui prétendent l'inverse. Restons néanmoins prudents et évitons de considérer les Ottomans comme de vulgaires plagiaires. L'auteur de la traduction, Chirvani, a en effet complété son ouvrage d'une série de recettes parfaitement originales qui diffèrent de leurs homologues arabo-perses.

Ainsi, on trouve chez Chirvani plusieurs pâtes aux origines diverses. 

Les dane-i-richte de Chirvani perpétuent les richta-s arabos-perses; ils sont cuits dans un ragoût gras mariant viandes et légumineuses jusqu'à absorption complète du jus.

Les manti-s  auraient, d’après Yerasimos,  été ramenés  par les Turcs de  leur berceau  en Asie centrale.  De fait, le lettré chinois Shu Xi les évoque déjà au  IIIeme siècle   sous le nom de mantou.  Les manti-s de Chirvani  sont des raviolis en forme de baluchon (le type de   farine n’est pas précisé); ils sont  farcis de  viande de mouton,  cuits à la vapeur et nappés  d’une sauce au yaourt. Les manti-s subsistent aujourd’hui non seulement en Turquie mais aussi  dans les ex-républiques soviétiques d’Asie:  au Kazakhstan, en Ouzbékistan et  en Azerbaïdjan (où se trouve actuellement  la ville de Chirvan dont est originaire Chirvani). Ils  correspondent à l’homolonyme  turc, mais  ne sont  pas nappés de sauce.  Voyez à leur sujet la section du site consacrée aux   recettes russes.

Les manti-s subsistent aussi en Grèce.  Constantin Erinkoglou, chef de restaurant gastronomique grec Notos à Bruxelles, les a baptisés poétiquement “fleurs de Pontos” ; celles-ci sont  farcies de viandes diverses, y compris du porc et sont  bouillies, au lieu d’être  cuites à la vapeur.

En Georgie, les manti-s  appelés khinkali-s peuvent, comme les “fleurs de Pontos”, être farcis  de porc et sont  cuits à l’eau; par contre, ils sont  servis sans sauce et simplement saupoudrés de poivre.
  
C’est en Italie, berceau des lagana, que convergent toutes les pâtes alors connues: aussi bien celles en provenance d’Orient que d’Extrême-Occident. La Sicile y joue en l’occurrence un rôle central. Au Xe siècle,  elle est en effet le siège d’un éblouissant émirat, où se rejoignent en toute liberté  les cultures byzantine, arabe et latine. Les “repreneurs” normands (Hauteville) et souabes (l’empereur Fréderic II Hohenstaufen) poursuivent la politique de tolérance des émirs, dont ils adoptent également les modes de vie: ils habitent dans des  alcazars,  possèdent  des  harems et des almées (= danseuses orientales) et, surtout, sont des fervents adeptes  de la gastronomie arabe.   

Les itriyya-s orientales  font  même  un véritable tabac sur leur île. Au XIIe siècle, le géographe musulman al-Idrisi écrit avoir vu à Trabie,  près de Palerme, des véritables manufactures de  fabrication  d’itriyya-s. 

Le Liber de coquina que fait rédiger  Fréderic II  au XIIIe siècle   mentionne celles-ci aux côtés d’autres pâtes connues à cette époque dans la Méditerranée. Ce livre de cuisine ayant disparu, Anna Martellotti a tenté de le  reconstituer au moyen de textes  postérieurs qu’elle est toutefois parvenue à rattacher à l’”Imperadore Magnifici”.  Elle a publier  une esquisse du réceptaire frédéricain sous le titre suivant:  I ricettari di Frederico II (Florence, éd. Olschki, 2005).  

Les pâtes y sont  dites génoises  (ianuensi ). Gênes est  effectivement le plus grand centre portuaire de commercialisation (mais non de fabrication) des  pâtes siciliennes au Moyen Âge central.  Elles se répandent dès lors sur toute la Pénisule.  Le célèbre poète  Dante  confirme  que vers 1300 “tutto quello che le Italiano mangiano e siciliano”, autrement dit que tous les Italiens mangent “à la sicilienne” (sous-entendant bien entendu la pasta) . 

Le   Liber de coquina  donne cependant  une image  incomplète de l’univers pastier de l’île impériale. Cette lacune est comblée   au XVe siècle dans le Libro de arte coquinaria élaboré par maestro Martino de Côme, queux de Ludovico Trevisan, richissime patriarche d’Aquilée. Le maître y  promeut en même temps les pastasciutte, sans pour autant éliminer   les  paste in brodo ni les  pâtes “à ragoût”.  Cependant la différence n’est pas toujours très claire; les unes comme les autres  sont   saupoudrées  avec du  fromage râpé  et des épices “douces”. Le Libro della cocina de l’Anonyme vénitien (XIVe siècle) en donne la composition: cannelle,   girofle, gingembre et macis.  La polvora de duch  ou poudre douce du Sent Sovi catalan  (XIVe - XVe siècles)  ajoute   du sucre (de canne),  de la muscade, de la cardamome, du galanga (Alpina officinarum,  surnommé gingembre chinois,  un rhizome de couleur brunâtre, exhalant une fine odeur aromatique et possédant une saveur brûlante et poivrée; il  est vendu dans les épiceries orientales); par contre,  elle ne comporte  pas de macis.

1. Tria et maccaroni romaneschi 

Le Liber traduit les itriyya-s orientales par tri(a), mais ne précise pas leur mode de fabrication. Il est  représenté par une miniature  réalisée au XIVe siècle en Italie et illustrant le Tacuinum sanitatis, traduction latine  d’un traité de diététique élaboré par le médecin arabe Ibn Butlan au XIe siècle la demande probable de Manfred, fils  de Fréderic II et roi de Sicile. On   y voit non seulement  l’action du pétrissage mais aussi celle de l’abaissement  de la pâte sur une table. Si la phase  intermédiaire du découpage  est malheureusement  escamotée, celle du séchage final sur une échelle en bois est montrée et permet d’en connaître l’allure:    ce sont effectivement  de longues et étroites bandelettes du type linguine

Au XVe siècle, maestro Martino en donne une  recette retoilettée 

L’abaisse de pâte est enroulée autour  d’un gros bâton  qui est aussitôt retiré. Le boudin de pâte ainsi obtenu est ensuite découpé en rondelles plus ou moins larges qui,  après avoir été débobinées, forment des  tagliatelles de différentes largeurs. 

Martino rebaptise en outre  le tria :   maccaroni romaneschi  (à la romaine), alors qu’elles sont devenues via les Arabes une spécialité sicilienne. C’est probablement parce qu’au Quattrocento (XVe siècle)  Rome prend la succession  de Gênes;  dans le  port de la Ville éternelle   les navires en provenance de Sicile débarquent désormais   les fameuses pâtes insulaires. 

L’appellation  tria ne disparaît pas pour autant.  

Aujourd’hui,  certaines  paste allongées circulent toujours sous leur nom médiéval de tria  dans le Mezzogiorno (cf. Pouilles). 
2. Vermicelli ou vermisseaux

Les fidaw-s maghrébo-andalous s’introduisent  également  en Sicile et, pour commencer,  les fidaw-s vermiformes. Ils sont traduits en latin par tri(a) de vermiculi et en italien par tri(a) di vermiccelli qui deviennent  rapidement vermiculi ou vermiccelli tout court, signifiant vermisseaux.  Le  Liber  les  surnomme ancia et  n’en donne pas davantage le mode de fabrication. C’est une fois de plus maestro Martino qui s’en charge.  Pour faire des  vermicelli ,  il prescrit de  réaliser d’abord une abaisse, de la détailler en bandes de pâte qui, après avoir été étirée finement (filala sottile ),  est façonnée en petits bouts (pezoli peccini ) ayant la forme de vermisseaux (a modo di vermicelli ) fins voire très fins. 

Malgré une évidente homonymie, ces vermiccelli ne correspondent  donc pas aux modernes vermicelles qui sont tréfilés.
3. Atriyya-s et maccaroni siciliani

Les atriyya-s maghrébo-andalouses roulées à la main  débarquent, à leur tour, en Sicile, comme il résulte une fois de plus du livre de cuisine de  maestro Martino qui les appelle  en effet  maccaroni siciliani . La recette stipule de les   rouler à la main, selon les règles de l’art posées  par Ibn Tujibi. Le maître queux italien  lance par la même occasion les premiers macaronis troués.  

Des petits pâtons (patoncelli ) sont façonnés en forme de paille et creux comme elle. Ils sont percés au moyen d’un fil de fer et roulés sur la table avec les deux mains. Le fil de fer est ensuite  retiré avec délicatesse.  
4. Triti et formentine 

En outre,  maestro Martino  signale des fidaw-s graniformes sous l’intitulé de  maccaroni in altro modo; il  ajoute que “si chiamano triti o formentine”, qui   se réfèrent tous deux au froment (= triticum   en latin). 
La recette n’est cependant pas aussi claire que celle d’Ibn Razin. Martino se borne à écrire que la pâte est “tagliata molto minuta et sottile”, sans faire allusion à un façonnage en forme de grains;  il  résulte uniquement de l’appellation signalée dans la recette.  

Les modernes puntalette et  risoni en descendent; mais ils sont  fabriqués mécaniquement. 
5. Las(s)ana ou lagana

Le Liber de coquina est par ailleurs le premier réceptaire tardo-médiéval  à reprendre les antiques   lagana qui sont désormais  également  orthographiées lasana ou lassana .  Cette évolution orthographique........ 
s’est probablement faite sous l’influence de l’arabe lauzinaj ,  une  fine feuille de pâte farcie  de massepain (law signifie amande), pliée en forme de losange (également dérivé de lauzinaj ) et frite dans l’huile.   

Le  Liber   décrit  aussi bien   des   lasana   fourrées d’amandes pilées et frites, à la façon des lauzinaj , que des lasana bouillies   inaugurant les lasagnes modernes. 

Sous le titre De lasanis ,   il  conseille de découper des lasana  en tranches carrées d'une dimension de trois doigts, de les cuire dans de l'eau bouillante salée et de les servir avec de fromage râpé.  C’est sans doute la plus ancienne recette de  lasagnes al formaggio ! 

Une autre  formule  propose de disposer les unes sur les autres des lasana bouillies et de les séparer simplement par une couche d’épices (non spécifiées):  elles inaugurent les  lasagne pasticciate . 

La torta de lassanis perpétue, pour sa part,  le procédé antique de la  pasta dans la pasta.....  Elle  est construite avec des lassana se superposant les unes sur les autres et séparées par une farce composée d’oeufs,  de raviolis,  de fromage,  de lard et d’épices.  

Normalement ces lasagnes sont cuites dans un moule entièrement  chemisé de pâte. Le Liber procède de façon plus originale : c’est une saucisse  (suffisamment longue et épaisse) qui  enroule la préparation  et lui sert de support (de mur,   dit le texte).  Sa  torta de lassanis est, en outre, surmontée de figurines en pâte représentant des animaux... 
6. 
Par contre, ni  le Liber de coquina  ni maestro Martino ne font aucune allusion à la pasta grattugiata qui  est forcément  connue  au Moyen Âge puisqu’elle subsiste aujourd’hui.  
  
7.   Raviolis

Ravioli vient probablement du latin russus (= roux) vulgarisé en rufus  qui donnera en bas latin rufeola , russeola ou rasseola, attestés au début du Moyen Âge et à l’origine respectivement de rissole en français et de rafioli  puis ravioli en italien. En effet,  primitivement les raviolis sont  frits à l’huile et ont donc une couleur dorée voire rousse.    

Le Liber de coquina.... en distingue plusieurs types,  parmi lesquelles figurent  encore plusieurs  variétés frites:
- des petites saucisses farcies de tripes de porc, enfermées dans une crépine et rissolées dans l’huile;   ce sont les descendants des crépinettes romaines ou esicia .  
-  des rissoles ou beignets  composés d’une farce de viande ou de fruits enveloppée dans une pâte (in tortello paste ) passée à la friture.  Le Liber  précise que la pâte est la même que celle utilisée pour les lasagnes. 
- par ailleurs, le Liber  parle  de raviolas albos , raviolis blancs. Il s’agit de quenelles, car  la farce  n’est  ni  enrobée de pâte ni enveloppée dans une crépine; eux,  aussi,  descendent en droite ligne des esicia  antiques
- enfin, le Liber fait allusion à des raviolis  préparés avec une farce à base de  chair de porc et de fromage, avec laquelle on fait  des crépinettes ou des saucisses ou des raviolas vel tortam (raviolis ou tourte, par définition   enrobée de pâte). L’auteur ajoute qu’on peut non seulement les frire mais aussi les bouillir. Autrement dit,  la dernière catégorie vise    de raviolis  du type paste. 

Le Liber ne mentionne donc les raviolis bouillis que de manière  accessoire. 

Ce n’est pas le cas de deux manuscrits contemporains (XIIIe siècle) mais d’origine anglo-normande. Ils sont rédigés en français d’oïl, la langue  officielle le la cour d’Angleterre  depuis le règne de Guillaume le Conquérant,  duc de Normandie (XIe siècle). Ainsi, les “kuskenoles” fourrés de fruits secs et  frais sont bouillis dans de l’eau, tout en subissant un passage final sous le gril.  Ils dérivent de l’arabe  khashkinaj, un ravioli frit, donc une rissole,  également remplie de fruits secs. On  les retrouve   seulement en Italie  au  XIVe siècle sous le  nom de quinquinelli ou  schinschinelli qui sont frits, comme le  khashkinaj.   

On peut dès lors se demander si l’idée de cuire les raviolis en milieu humide ne viendrait  pas des Franco-Normands. Ceux-ci auraient très bien pu inaugurer cette façon lors de leur occupation de la Sicile, l’”île aux itriyya-s “ , qu”ils conquièrent quelques années seulement après l’Angleterre (1066): entre 1043 et 1059. (Les Franco-Normands y restent jusqu’en 1194).

Les culurzones ou culingionis sardes, des raviolis farcis aux fruits secs et bouillis, descendant manifestement des “kuskenoles”. 

Par la suite, les raviolis bouillis se généralisent progressivement en Italie et   adoptent des formes variées: demi-lune, chausson, carré. Maestro Martino ne les veut pas plus  pas  plus gros qu’une demi-châtaigne
8. La “fourchette” à pâtes

A l’origine les pâtes  filiformes sont appréhendées avec les mains et  entortillées   autour du doigt. Cette technique exige évidemment   apprentissage et  adresse. C’est pour faciliter la tâche ardue à laquelle est confrontée le mangeur de macaronis  qu’est créée la “fourchette” à pâtes. Le Liber  de coquina est le premier  à y faire allusion: il décrit un  instrument en forme de tige se terminant par une pointe  permettant  de  piquer et  puis d’enrouler les paste.  Par la suite la pointe  sera remplacée par deux,  puis trois  dents et donnera naissance à la moderne fourchette qui servira aussi à d’autres usages. 



Le   Libro de arte coquinaria de  maestro Martino est  traduit en latin par  l¹humaniste Platine qui l’incorpore  dans son  De  honesta voluptate, imprimé pour la première fois à Rome en 1474 et ensuite par les grandes maisons d’éditions des autres  capitales européennes.  Cet ouvrage à cheval entre médecine et cuisine est à son tour transposé dans différentes langues vernaculaires:  italien, français, allemand et partiellement en flamand. Bruno Laurioux vient d¹y consacrer un très beau livre:  Autour du De honesta voluptate de Platina. Gastronomie, humanisme et société à Rome au milieu du XVe siècle (Florence, éd. Sismel, 2006) . 

Grâce à Platine, l’impulsion que Martino  donne à l’univers pastier contamine tout l’Occident.

Contrairement à une autre légende qui a la vie dure,  la reine de France Catherine de Médicis  (1519 - 1589)  n’y a donc joué aucun rôle... 

Cent ans après Martino/Platine, Scappi qui dirige les cuisines pontificales reprend le flambeau. Ses opera (Venise, 1570) sont également traduits en plusieurs langues et ses recettes copiée partout.

Le maître-queux du pape résume, à lui tout seul, toute l'exubérance de l'art culinaire baroque. Scappi est au XVI° siècle ce que le français carême sera au XIX° siècle.

Avec son confrère Messisbugo (Banchetti, Ferrare, 1549), il lance un lot de nouvelles paste, parmi lesquelles les pâtes farcies font une percée spectaculaire. Citons d'une part la famille des agnolotti, tortelloni, tortellini, capelleti, des raviolis en forme d'anneau et, de l'autre, celle des tortelletti, ou tortelli, des ravioles de formes variées : ronds, carrés, voire longhi (longs, suivant les termes de Messisbugo), piccioli & grandi (petits ou grands, ajoute Scappi).

Scappi et Messisbugo réduisent aussi le temps de cuisson quoique les paste restent toujours fondantes et ne soient pas encore al dente. 

Tavola per imbrandire
Par ailleurs, ils limitent le traditionnel mélange d'épices douces à la cannelle et au sucre qui, au XVI° siècle, est mis à toutes les sauces.

Quelquefois, du beurre est ajouté. A partir du XII° siècle celui-ci fait une timide apparition dans les cuisines aristocratiques d'Europe septentrionale et finit par envahir le sud à la fin du Moyen Âge; dans le pays des oliviers, il n' évince toutefois pas la traditionnelle huile.

Alors que le fromage, le beurre et l'huile continuent d'accompagner les paste jusqu'à ce jour, le sucre et la cannelle en sont progressivement éliminées après le XVI° siècle.
Dynastie anglo-normandes et ensuite Plantagenêt d'Anjou.

a) Dès le XIIIe siècle, deux manuscrits anglo-normands citent plusieurs type de paste. Nous avons évoqué précédemment les "kuskenoles" et les "ravieles" qui sont farcies de fromage, de beurre, d’herbes mais cuites au four. Ajoutons la « cressée », qui est sans doute  une transciption erronée de “tressee”; elle est formée de bandes de pâtes bicolores formant un genre de tresse  ou plus précisément de grillage.  La pâte contient des oeufs, du gingembre, du sucre, et du safran. La cressée est cuite dans l’eau puis arrosée de beurre et saupoudrée de fromage râpé (sans la moindre adjonction d’épices).

Le Kitab  al-Tabikh de l’Anonyme Andalou  donne aussi la recette d’une tresse de cheveux en pâte mais elle est frite et non bouillie (Ambrosio Huici Miranda la traduit par hechura de trenzas).  Ces textes fournissent  donc un second exemple  de l’art qu’ont   les Anglo-Normands  de faire transiter les préparations en pâte d’origine arabe  d’un milieu gras ou sec vers un environnement humide. L’hypothèse déjà avancée  du rôle possible qu’aurait pu jouer  leur occupation quasi simultanée  de l’Angleterre et de la Sicile, l’île aux itriyya-s, semble se préciser. Elle expliquerait en outre l’arabisation étonnamment  précoce (dès le XIIIe siècle) de la cuisine (franco)-anglaise, alors que son homologue parisienne ne se laisse emporter par le soleil méditerranéen qu’au XVe siècle....

 b) Un siècle plus tard,  le Forme of Cury  (1390) dédié au roi d'Angleterre Richard II donne non seulement des recettes de raviolis bouillis, mais aussi d'autres paste

Richard II dînant avec les ducs d'York, de Gloucester et d'Irlande
  

- des loscyns préparés al forno ou alla pasticciata, qui sont séparées par des couches composées de fromage et d’épices "douces"

- des macrows, qui ne désignent pas des macaronis troués, mais des bandelettes plus ou moins larges du type tagliatelles et consorts; ils sont fabriqués selon le procédé oriental : découpés dans une feuille de pâte et pochés. Les macrows sont accompagnés de beurre fondu et de fromage râpé (sans épices). 

-des ravioles, farcies de fromage râpé, d'oeufs, de beurre et de safran; après pochages, elles sont présentées avec du beurre, du fromage râpé et des "épices douces".

- des tartelettes sont d'autres raviolis bouillis (que le Liber de coquina surnomme aussi torta; à la Renaissance, Scappi appellera encore les raviolis tortelli = petite torta); ils sont farcis avec du porc haché, du safran, des oeufs, des raisins secs, des épices "fortes"; ensuite les raviolis sont pochés dans un bon bouillon, égouttés et servis dans une écuelle avec des épices "douces" et un peu de jus.

En Catalogne, le Sent Sovi (un traité culinaire élaboré entre les XIVe et XVe siècles) décrit les alatria qui sont réalisées selon les techniques utilisées pour les atriyya-s maghrébo-andalouses (roulement), dont elles adoptent le nom (vulgarisé).

Elles se distinguent donc de leurs modernes homonymes surnommés capellini, qui sont des fils pleins ultra-fins passés passés à travers la filière, inconnue à l'époque. Les alatria médiévales correspondent soit aux trofie (en forme de petits vers), soit aux pici (cylindriques), qui sont tout deux obtenus par roulement.
  
 La recette du Sent Sovi est parfaitement originale: elle prévoit de cuire de la viande (non précisée) dans une casserole et de l'enlever pour la remplacer par les alatria; celles-ci sont pochées dans un bouillon qu'elles sont censées épaissir. Des raisins secs sont ajoutés in fine. Les alatria sont servies dans une écuelle, tandis que la viande est présentée à part sur un tallador, un tailloir (tranche de pain placée sur une planche en bois ou en métal faisant office d'assiette au Moyen Âge).

Par contre, les fideus sont absents du Sent Sovi, mais ils sont attestés dans d’autres textes, notamment dans les régimes de santé prescrits par le célèbre médecin catalan du XIV° siècle, Arnaud de Villeneuve. Mestre Robert de Nola évoque, en outre, des macarrons amb carn (à la viande) dans son libre del coch, imprimé à Barcelonne en 1520.

Si au Moyen Age, les fideus ne se distinguent pas fondamentalement des fidaw-s maghrébo-andalous et sont également des pâtes à large spectre, leurs modernes homonymes ne sont plus roulés à la main et sont passés à travers la presse à filière; il visent désormais exclusivement des petits vermicelles très courts qui restent néanmoins des pâtes "à ragoût".

a) Dans la France méditerranéenne du XIVe siècle, Jean-Louis Flandrin signale plusieurs pâtes: les « fidiaux » (dérivés des fidaws, mais désignant des pâtes laminées, comme les fidea roumaines, et non modélées a manu suivant le procédé maghrébo-andalous), les « crozets » (sortes de coquillettes également mentionnés dans le Liber de coquina qui les appelle croseti, dont descendent en droite ligne les orecchietti pugliesi) et les « menudets », une variété de « crozets » qui seraient typiquement provençaux. Ils semblent correspondre aux actuels crozets savoyards, des petites pâtes carrées qu’on mange non en potage mais en pastasciutte avec du fromage râpé et du beurre. 

b) Dans le Nord et plus particulièrement dans les États franco-bourguignons circulent aussi différentes pâtes. Citons les « vermiseaux de cecile » (vermicelles de Sicile), repris par le wallon Vivendier du XVe siècle. La référence à la Sicile s’explique du fait que la première usine de fabrication de ce type de pâtes y a été érigée par les Sarrasins lors de leur occupation de l'île. Le Vivendier mentionne en outre le « rys en galles c’on dit contrefait » (riz contrefait pour blaguer) qui vise des petites pâtes ayant la forme de grains de riz (comme les fidaw-s maghrébo-andalous). 

Dans son notabel boecksken van cokerryen (Bruxelles, vers 1515), Vander Noot évoque par ailleurs des roffioelen van wermoese qui, malgré leur nom ne sont pas des raviolis mais des tagliatelles aux herbes, donc vertes.
c) Les paste se multiplient en "Belgique" durant la Renaissance, grâce surtout à Lancelot de Casteau, queux des princes-évêques de Liège dans la deuxième moitié du XVIe siècle. Elles occupent une place importante dans sa célèbre Ouverture de cuisine (imprimée à Liège en 1604). Cet intérêt inhabituel de la part d'un chef venant des brumes du Nord pour une spécialité typiquement italienne ne peut s’expliquer que par des séjours effectués dans la patrie des mangeurs de macaronis. L'influence de Scappi saute aux yeux. 

1° Les raviolis 

Lancelot en donne plusieurs variantes: 

- des « raphioulles » farcis de viande hachée, bouillis, saupoudrés de parmesan râpé et de cannelle

- des « rafioule » farcis d’épinards, bouillis, également saupoudrés de cannelle et parmesan râpé 

2° Les « agnoiles » 

Les agnolotti sont des raviolis en forme d’anneau; ils apparaissent en Italie à la Renaissance et sont, à cette époque, farcis avec du pis de vache. 

Lancelot en donne deux versions: 

- une farce est préparée avec du pis de vache et de la graisse hachés, du parmesan râpé, de la cannelle, du poivre et des raisins secs. « Puis vous ferés des petites longues rafioles la longueur de deux doigts et non plus grosses qu’un doigt et tournez cela comme un anneau et mouillès l’un des debouts avec de l’oeuf battu, affin de faire tenir ensemble, puis les mettez boullir comme rafioule ». 

- une pâte à choux est préparée, dans laquelle on incorpore du parmesan. On y prélève des petits morceaux, comme des noix, qui sont bouillis, égouttés, saupoudrés de parmesan et cannelle. Ces "agnoiles" ne font pas partie de la famille des raviolis mais de celle des gnocchis. 

3° Lasagnes ou tagliatelles 

Lancelot les nomme « maquaron » (à l'instar de ses prédécesseurs italiens et anglais du XIVe siècle). La pâte est coupée en bandes de trois doigts de largeur, qui sont bouillies et servies, comme les raviolis, avec du parmesan râpé et de la cannelle.

Par contre, en Allemagne (y compris en Alsace), la tradition pastière est plus récente et ne remonte pas au-delà du XVIIe siècle. Le Saint-Empire se spécialise dans les pâtes fraîches aux oeufs: Nudeln (en français nouilles et en anglais noodle). Une des plus anciennes recettes figure dans Ein new kochbuch de Marx Rumpolt (Francfort, 1581). Elles sont faites avec un pâton composé de farine et d'oeufs; une abaisse est réalisée et découpée en petits morceaux (schneids sein klein); ceux-ci sont bouillis dans de l'eau salée et égouttés. Les nouilles sont servies avec du parmesan ou du pain (!à râper) et du beurre. Rumpolt ajoute qu'elles sont accomodées de la sorte au Tyrol.

L'abbé Bernardin Buchinger y consacre tout un chapitre de son livre de cuisine écrit en allemand et paru en 1671


Jusqu'à la Renaissance, le travail des pâtes se fait principalement à la main. La situation change avec l'apparition de la presse à filière à Naples à la fin du XVIe siècle. Elle fonctionne sur le principe du pressoir à vin connu depuis l'Antiquité. La pâte est poussée à travers une filière qui est une sorte de disque en bronze perforé dont les trous ont la forme des pâtes que l'on veut réaliser. Ainsi naît une multitude de nouvelles formes de paste, dont les pâtes filiformes pleines plus ou moins fines du genre spaghettis et vermicelles.

Cependant, les Chinois parviennent à confectionner des pâtes filiformes sans presse.  La technique utilisée est appelée lamian ou chenmian. On ignore cependant quand elle est apparue.

Si le principe est simple, sa réallisation est d’une complexité extrême. “Il repose  sur le pliage et l’étirement  successifs d’une bande de pâte. Tout l’art consiste à manier une pâte déjà parfaitement homogène et élastique à laquelle on cherche, dans un premier temps à donner encore plus d’élasticité en la faisant s’allonger et s’entortiller sur elle-même par le poids de sa masse maniée  entre les mains. Ensuite une partie du pâton est étirée en une longue bande tenue entre les deux mains, puis celle-ci est pliée en deux, étirée, repliée  plusieurs fois de suite  jusqu’à l’obtention d’un faisceau de fils de pâte, dont  la longueur et l’épaisseur dépendant du nombre d’opérations de pliage....Au bout de douze opérations, le cuisinier tient entre ses mains  quatre mille quatre-vingt-seize  fils d’une incroyable finesse.  Ces cheveux d’ange sont surnommés longxumian , moustaches de dragon” (SABBAN-SERVENTI, Les pâtes, Paris, 2001).  

La gastronomie des XVIIIe et XIXe siècles est marquée par la révolution culinaire française qui débute dès le XVIIe siècle sous le règne de Louis XIV. Elle atteint son apothéose avec Carême (1784 - 1833).
La Varenne (Le cuisinier françois, Paris, 1651) en est l'initiateur. Il bénéfice des enseignements des maîtres italiens (Martino / Platine, Scappi et Messisbugo) et leur emprunte diverses spécialités, dont les fameuses béatilles composées d'abats parfois extravagants du genre ris d'agneau et de cochon de lait, crêtes et rognons de coq (il s'agit, en fait, des testicules surnommés animelles ou rognons blancs). Les Anglais qui s'en méfient les affublent d'un surnom peu élégant : "fricassées"... . 

Au Quattrocento, Maestro Martino en donne déjà une éloquente recette: creste, ficatello et testiculi di galli , crêtes, foies et testicules de coq (en pâté), qui descendent en droite ligne des minutal-s romains antiques (faits avec des testicules de coq, de la fressure de lièvre, des ris de cochon de lait, des cervelles d'animaux de boucherie en tout genre).

Le mouvement novateur parisien atteint son apothéose avec Carême (1784 -1833).


Le "roi des cuisiniers et cuisinier des rois" redéfinit principalement la théorie des fonds lancée par La Varenne (Le cuisinier françois, Paris, 1651).

Le "grand bouillon nourricier" en est le point de départ. Marin (Les dons de Comus, Paris, 1739) le confectionne notamment avec différentes viandes (boeuf, veau, poule, perdrix, jambon), qu'il soumet à une ébullition longue et lente afin d’en extraire les précieux arômes.

Le bouillon originel est escorté d'un cortège d'apprêts savants qui s'emboîtent les uns dans les autres tels des poupées russes. Ainsi, la mirepoix est un appareil composé de carottes, d'oignons, de céleris, détaillés en julienne et étuvés dans du beurre ou du saindoux. Le jus rendu par la mirepoix est récupéré et soigneusement filtré, avant d'être incorporé au bouillon. Le jus y est si parfaitement "intériorisé" que les essences volatiles se trouvent emprisonnées à l'intérieur d' une gelée translucide, dite demi-glace. La matière est passée du stade liquide au stade solide sous l'effet d'une véritable transmutation ou plus exactement sublimation. La demi-glace est alors quintessenciée jusqu'à la consistance du miel ou de la résine par une nouvelle réduction: c'est la glace. Marin écrit à juste titre qu'à force de tout décomposer, digérer et quintessencier, la science du cuisinier devient de l'alchimie dont elle emprunte en effet le vocabulaire.

Enfin, le roux (farine cuite dans du beurre) sert à catalyser tous les fonds. Carême en retient quatre: pour commencer l'espagnole (par ailleurs, totalement absente de la cuisine espagnole), puis la béchamel (n'ayant qu¹un lointain rapport avec sa moderne homonyme, une modeste sauce blanche), enfin l'allemande et le velouté (qui, tous deux, sont des variantes de la béchamel). Entre ses doigts de fée les glaces et demi-glaces se métamorphosent en buées flamboyantes .

Parallèlement à cette pré-cuisine est mise en place une post-cuisine, dont l'objectif est de flatter l'oeil aussi bien que le palais. Les garnitures rebaptisées par la suite ragoûts font fureur; elles se composent de petites choses délicates (que les Anglais tirent en dérision et traduisent par kickshaws): câpres, anchois, asperges, culs d'artichaut, truffes, morilles, huîtres, foies gras, écrevisses et surtout béatilles, que Carême veut toujours plus extravangantes : laitances de carpe ou de maquereau, foies de lotte, langues de cabillaud... Ils sont néanmoins absents de son ragoût préféré dit "à la financière", sans doute en raison des produits particulièrement luxueux qui le composent: foies gras, truffes, ris de veau voire écrevisses qui sont unis au couple crêtes et rognons de coq, dont le queux royal raffole. Il n'hésite pas à proclamer fièrement: "les crêtes sont devenues le plus bel ornement de mon travail". Les ragoûts carémiens subsistent dans la garniture (ou sauce) à la financière (crêtes et rognons de coq, truffes, ris de veau) qui reste à la mode jusqu'au XXe siècle. Les modernes ragoûts sont par contre des plats mijotés, comme les civets, les carbonades, les blanquettes, les "haricots" (de mouton).

Par ailleurs, aucun plat n'arrive à table sans être luxurieusement décoré. Les pièces montées sont hérissées de hâtelets (petites brochettes) chargés des produits délicats: truffes, écrevisses et bien sûr crêtes de coq qui, précise Carême, leur donnent élégance et somptuosité. De fait, le contraste entre la blancheur porcelaine des crêtes, l'éclat sombre des truffes et la brillance écarlate des écrevisses est éblouissant. Les timbales construites par l'artiste-cuisiinier sont particulièrement grandioses; il parvient à façonner avec la pâte (de préférence feuilletée) des évanescentes et magnifiques sculptures, surnommées vols-au-vent car elles s'élancent vers les cieux, tels des tours de Babel.




À l'instar de la plupart des pays européens, l'Italie est profondément marquée par la révolution culinaire française. Il cuoco piemontese perfectionato a Parigi (perfectionné à Paris), élaboré dès le XVIIe siècle par un auteur anonyme, est sans doute le premier à en tirer et transmettre les enseignements au-delà des Alpes. 

Au XVIIIe siècle, les queux italiens sortent, par ailleurs, de l'oubli un autre mets disparu: les paste en croûte, très en vogue durant l'Antiquité et le Moyen Àge (voyez les patina et torta de lagana ou lasana ) et tombant en désuétude par la suite. Ils en font non seulement comme jadis avec des lasagnes mais aussi avec des raviolis et surtout des macaronis. Ils sont rebaptisées pasticcio voire timballa, un terme probablement emprunté aux cuisiniers d'Outremont qui proposent de nombreuses recettes de timbales fourrées de farces diverses.

Vincenzo Corrado est sans doute le créateur de la timballa di maccheroni ( Il cuoco galante, Naples, 1773). En lui appliquant la théorie française des fonds et des garnitures, Corrado fait de sa timballa un des fleurons de la gastronomie napolitaine. Le moule est foncé avec une riche pâte brisée sur laquelle est déposé un lit de macaronis au fromage, nappés d'une "sauce au jus de boeuf bien dense" (denso sugo di manzo, autrement dit, d'une demi-glace) et accompagnés d'une savoureuse garniture : truffes, champignons, jambon et cervelas (qui n'a rien à voir avec ce qu'on trouve généralement sous ce nom dans les baraques à frites; ici, le cervelas désigne une farce à base d'un hachis fin de veau, de truffes voire de pistaches qui est enfermé à l'intérieur d'un boyau et ensuite poché).

Au XIXe siècle, l'Italie se met à l'heure de Carême, qui est probablement le premier chef français à farcir ses pièces montées de pâtes alimentairtes, suivant la mode italienne. Sa munificente timbale feuilletée "à la Mantoue" (malnommée puisqu'elle est d'origine napolitaine et non lombarde) est, en l'occurrence, remplie de lasagnes alternant avec un ragoût à la Monglas (réunissant foie gras, langue écarlate, truffes, champignons), qui est nappé d'une tourbillonnante demi-glace au champagne. La timbale est in fine plantée de hâtelets garnis de truffes alternant avec des crêtes de coq, célébrant ainsi l'union sacrée entre le rouge et le noir. Les hâtelets qui s'élèvent jusqu'aux cieux portent littéralement les pâtes aux nues... Carême ne pouvait leur rendre plus bel hommage

Désormais la timballa est, suivant la mode carémienne, décorée avec art. À leur tour, les queux italiens appellent les garnitures "ragouts" (mais sans accent). Les "rognons" et crêtes de coq y sont d'autant plus incontournables que c'est l'Italie qui les a mis à la mode quelques siècles plus tôt. La technique de préparation de ces "bijoux" est extrêmement délicate. Les livres de cuisine modernes ne s'y attardant plus, nous la donnerons plus loin.

Parmi les fonds carémiens, la béchamel et surtout l'espagnole récoltent un énorme succès. Dans son Tratatto di cucina paru à Turin en 1854, Giovanni Vialardi signale une timballa di maccaroni decorata alla napolitana qui a recours à une salsa espagnola devant servir à la confection d'un ragout alla financière (avec accent), à base de ris, de truffes, de quenelles, de crêtes et de rognons de coq. Il est étonnant de constater que les "ragouts" italiens ne semblent pas s'intéresser aux abats de poisson; pourtant, durant l'Antiquité, Rome était une grande consommatrice de laitances de murène, de foies de roussette, de langues de poisson voire d'oiseau. 

Comme en France, "ragout" change progressivement de sens et en outre d'orthographe. Aujourd'hui ragù désigne une sauce tomate à la viande hachée qui sert à napper toutes sortes de pâtes (et quelquefois aussi un plat mijoté, à l'instar du ragoût français). 

D'après J.F. Revel, en Toscane on sert néanmoins toujours une composition de ris d'agneau, de crêtes et rognons de coq sous le nom de rigaglie alla salvia (abats à la sauge).

Par la suite, la timbale de pâtes perd de son prestige avant de tomber en désuétude. Alexandre Dumas (l'auteur des Trois mousquetaires est un fin gourmet auquel on doit un passionnant Dictionnaire de cuisine) en donne une recette d'une pauvreté désolante: un moule est tapissé d'une vulgaire pâte brisée et rempli à ras bord de macaronis au parmesan et à la mie de pain... 

En Provence, elle reste toutefois un mets recherché au moins jusqu'à la fin du XIXe siècle, comme en témoigne la timbale de macaronis à la financière de Reboul (La cuisinière provençale, Marseille, 1880). Assez curieusement cette financière ne comporte ni crêtes ni rognons de coq.

Mais entre-temps sont apparues en Italie deux petites révolutions dans l'univers pastier: d'une part, la cuisson al dente, d'autre part, l'utilisation de la tomate et l'invention du pesto.

Le grand mérite d’Escoffier  (1847 - 1935)  est d‘avoir  modernisé  la cuisine  de Carême dont l’exubérance baroque ne correspond plus au goût du jour. Ce faisant,  il   réinterprète   les  recettes du maître afin de les rendre plus lisibles et plus accessibles.  Escoffier ne remet  pas   en question la pré-cuisine carémienne et  reste fidèle à la théorie des fonds. Il  revoit  par contre complètement la mise-en-scène épulaire. En épurant notamment les extravagantes pièces montées de son grandissimeprédécesseur,  Escoffier  redore le blason de  la timbale. Il la débarrasse de ses flamboyants hâtelets et de toutes les autres  garnitures rocambolesques  qui partent   à la conquête des cieux.   Si certaines timbales gardent leur enveloppe de pâte, d’autres sont plus modestement (mais tout aussi délicieursement)  présentées  dans un moule en porcelaine, surnommé  au reste timbale. Escoffier en donne plus de  soixante formules, parmi lesquelles plusieurs sont farcies de pasta. Grâce au  talent exceptionnel du grand chef, la  situation hégémonique de la France se trouve consolidée et la timbale de macaronis connaît une nouvelle heure de gloire.

Par ailleurs, Escoffier est sans doute le premier auteur culinaire français à consacrer une section entière aux pâtes alimentaires dans son fameux Guide culinaire (paru pour la première fois  en 1903). La pasta  italienne y occupe la place primordiale.

La pasta in brodo  comporte, outre les classiques  vermicelles et  cheveux d’ange,  une mystérieuse  “neige de Florence”.  Le Larousse gastronomique spécifie qu’il s’agit de “flocons blancs” en pâte  servant à  garnir un consommé;  ce sont manifestement des pâtes émiettées descendant des tractae gréco-romains que certains auteurs latins (comme le poète Tibulle) comparent en effet à des   flocons neigeux qu’on tire d’une toison laineuse. Autrement dit, la “neige de Florence” est une pasta frattugiata.  Il est extraordinaire de constater qu’Escoffier  connaît cette pasta absente de la plupart des  ouvrages de ses confrères italiens.

Ensuite,  il y a bien sûr  la pastasciutta :  cannellonis, spaghettis, lasagnes, raviolis e tuttti quanti .  Même si ces pâtes sont servies “à l’italienne”, “à la milanaise”, “à la napolitaine” ou  “à la sicilienne”, Escoffier les accomode néanmoins à la manière carémienne, corrigée par ses soins.  Elles sont  désormais garnies  d’un “modeste” ragoût  au foie gras et aux  truffes,  dont  les excentriques béatilles  ont été supprimées,  et sont arrosées d’un des  quatre grands  fonds: espagnole, béchamel, velouté, alllemande dont  Escoffier a toutefois “dédramatisé” l’élaboration; par contre, il s’intéresse peu à l’italianissime  salsa pomodore. Relevons cependant l’introduction de la grande   nouveauté napolitaine du XIXe siècle: la pasta al dente  que le maître-queux français traduit par “nouilles  très croustillantes”. 

Enfin, il  donne la sublime recette de macaronis aux truffes  d’Albe, dont pas moins de  200 gr sont nécessaires pour une livre de pâtes...ces “diamants blancs” sont coupés en copeaux minces et  parsemés crus sur les macaronis cuits. Escoffier,  qui a dû emprunter cette façon  à ses homologues piémontais, est sans doute le premier  à la lancer en France.

Le célèbre maître-queux  signale de surcroît des pâtes venues d’ailleurs et notamment de Russie; elles sont également  arrangées   au goût carémo-escoffiérien.  Les  “pellmènes” sibériens,  des raviolis composés de deux abaisses en pâte à nouille très fines et “rapportées l”une sur l”autre”sont  farcis de jambon et  de chair de gélinotte, nappés d’une sompteuse espagnole; de même, la kacha, une vulgaire bouillie de sarrasin, qu’Escoffier appelle  “kache”, devient entre ses blanches mains une autre pastasciutta qu’il réalise en faisant passer à travers un gros  tamis une pâte de   semoule pétrie avec des  oeufs. Ce curieux  procédé de presse dans un récipient troué  vient de Chine où les pastiers   l’utilisent dès le VIe siècle pour les fen-s (pâtes d’amidon ou de fécule) vermiformes; on le retrouve en Occident au XVIe siècle et, plus spécialement, en Espagne  qui y avait recours pour la fabrication des fideoas  également vermiformes (quoiqu’à base de farine de froment  ou de semoule de blé dur).  Mais le tamis à vermicelles n’y fait pas long feu car il  est immédiatement supplanté par la presse à filière qui vient d’être mise au point à Naples. Les “kaches” sont pochées dans un consommé et égouttées soigneusement.

Curieusement,  le grand Carême ne fait aucune allusion aux pâtes russes, alors qu’il a dirigé pendant plusieurs années  les cuisines du très raffiné tsar Alexandre Ier...

Désormais les épices sont frappées d'interdit; c'est sans aucun doute un autre "effet" de la révolution culinaire française des XVII° et XVIII° siècles. Les seuls rescapés sont le poivre et la muscade (voire le clou de girofle). Le mélange sucré-salé subit le même sort, même si mes macaronis saupoudrés de cassonade restent toujours en vigueur, mais ils sont en général relégués dans l'alimentation pour bébés et vieillards, voire de famines...

Cependant, la pasta al dente et la salsa di pomodoro apparaissent à Naples au XIXe siècle. Dans la Cucina teorico-pratica qu'il y publie en 1839, Ippolito Cavalcanti enseigne pour la première fois l'art de cuire les pâtes al dente; il l'appelle "à la napolitaine".

La cuisson courte gagnera progressivement toute l'Italie avant de s'imposer partout dans le monde à la fin du XXe siècle.

C'est également Cavalcanti qui marie définitivement les pâtes aux tomates. Celles-ci sont connues depuis longtemps. Dès 1592, le botaniste espagnol signale l'existence de ce fruit d'origine américaine. Les cuisiniers ibériques le préparent surtout en salade. Aussi bien, la tomate est-elle considérée comme une curiosité de la cuisine espagnole dans l'Italie du XVIIe siècle. Cent ans plus tard, Vincenzo Corrado (Il cuoco galante, Naples, 1773) l'adopte et l'introduit dans plusieurs préparations, mais aucune d'entre elles n'est à base de paste. L'idée de parfumer les potages d'un jus de tomates en les associant avec pâtes (en l'occurence, des vermicelles est lancée par le Français Grimod de La Reynière (Almanach des gourmands, 1807); comme il leur préfère le riz, sa suggestion n'encourage ni Carême ni ses disciples. Par contre, Cavalcanti devient un inconditionnel de cette association qui, grâce à lui, fera le tour du monde

Quant au pesto, il est né à Gènes. La première recette figure dans la Vera cuciniera genovese éditée en 1863 par G.B. et G. Batta. Il est à base d'ail, de basilic, de fromage et d'huile mais ne comprend pas encore de pignons de pin. 

La mécanisation des manufactures ouvre une nouvelle page de l'histoire des pâtes et donne naissance à l'arte bianca. Grâce à la révolution industrielle elles se diffusent à travers la planète sans pour autant porter atteinte à la situation quasi-monopolistique de l'Italie.

Elle vascille sérieusement lorsque les multinationales américaines mues par des basses considérations de rentabilté recomposent de fond en comble l'univers agro-alimentaire. En automatisent notamment les chaînes de production (avec des presses à filières motorisées et recouvertes en Téflon), elles fournissent massivement des pâtes standardisées, dépourvues de la moindre diversité gustative.

L'Italie combat avec acharnement cette "macdonaldisation" (Fischler) qui envahit le monde pastier dont elle est la gardienne séculaire.

Grâce à un habile retoilettage des bonnes vieilles méthodes du passé (fabrication de pâtes artisanales, retour de la presse à filère en bronze, de la chitarra), la Péninsule parvient à redorer le blason des "pâtés d'Italie" ; elle crée ainsi un vaste éventail de paste haut de gamme; on peut par exemple citer Setaro, De Cecco, Lensi, qui se sont spécialisés dans les paste trafilate al bronzo; tandis que le marché de la pasta fresca est dominé par Giovanni Rana qui fabrique aussi des pâtes "alla chitarra". Il les appelle suivant la mode abruzze "spaghetti" alors qu'il s'agit en réalité de taglierini. Présentées en emballage sous vide (né au cours de la deuxième moitié du XXe siècle), elles sont exportées dans toute l'Europe.


J. Mieg, Marché en Italie, XVIII° s
Italiens qui mangent les pâtes avec les mains


De façon générale, les pâtes  alimentaires sont  modelées en  formats précis,  pouvant être  conditionnés  et calibrés.

En revanche,  la pâte émiettée est une pasta disloquée en bribes disparates dont la morphologie est par définition inégale; elle est primordiale en ce sens qu¹elle constitue la mère de toutes les pâtes “formattées”.

À l’origine,  la pasta émiettée  était probablement morcelée par simple frottement ou épluchage entre les doigts. Ceux-ci sont ensuite remplacés par une  râpe ou un tamis grossiers, contre lesquels la pâte est  appuyée afin de la fragmenter en  modules moins hétéroclytes.

Connue en paléo-Babylonie, la pâte émiettée  est mentionnée pour la première fois dans  les tablettes  culinaires de la YBC datant de - 1700 (traduites récemment  par Jean Bottéro dans La plus vieille cuisine du monde, Paris, 2002). Elle apparaît sous trois  appellations: risnatu, bappiru, qaiiatu.

Risnatu et bappiru sont synonymes. Le premier est un mot  akkadien dérivant du verbe rasanu, tandis que le second  est sumérien et provient du verbe bappir. Selon Bottéro, rasanu et bapir signifient sensu lato : mettre en contact une céréale avec un liquide qui doit l’imbiber et en changer la consistance. Autrement dit,  il faut  réduire la céréale  en farine et la pétrir avec une matière  liquide. Un pâton  est ensuite réalisé que Bottéro  traduit  par “tourteau” ou “gâteau”. Le bappiru/risnatu n’est cependant pas un produit de la boulangerie / pâtisserie, étant donné qu’il reste cru et subit en outre un séchage. Le pâton ainsi traité est râpé, tandis que les râpures  sont bouillies dans un me (consommé).  Par voie de conséquence, le bappiru/risnatu est une pasta émiettée.  La recette du paasrutum (de pasaru= émietter) qui s’applique à un me aux miettes est  particulièrement instructive. Elle utilise  respectivement    les   verbes  hasalu et napu signifiant, d’une part, que le râpage du patôn (bappiru) se fait contre un tamis (voire une râpe) et, de l’autre, que les paillettes ainsi obtenues sont pochées dans le me.  Le risnatu/bappiru  apparaît dans d’autres recettes de me enrichissant le liquide avec du lait qui intervient apparemment en même temps que la pâte. 

Deux recettes aux risnatu-s / bappiru-s comportent en outre  des qaiiatu-s :le paasrutum cité ci-dessus  et  le me de rate. Selon Bottéro,  qaiiatu provient de qalu = grain grillé ou  torréfié  et peut, lui aussi, se
présenter en forme de “pain” ou “tourteau”, à l’instar du risnatu/bappiru. Bottéro spécifie qu’il doit être maraqu : égrugé, c’est-à-dire   réduit  en  grumeaux ou en poudre, sans doute toujours au moyen d’une râpe ou d’un  tamis.

Les  boulangers-pastiers mésopotamiens ont probablement emprunté la technique de l’émiettage/râpage à leurs confrères brasseurs.  La bière (sikaru en akkadien, kas en sumérien) est la boisson favorite du pays de l’Entre-Fleuves: Tigre et Euphrate.  Sa technique de fabrication diffère de celle en vigueur en Occident  et se fait à partir d’un “pain de bière”  appelé également bappiru et devant, à son instar, être émietté dans de l’eau. Deux différences fondamentales séparent  toutefois le mécanisme présidant à la fabrication  du sikaru / kas et à celle de  la pâte émiettée: le “pain de bière” n’est pas cru, mais (légèremernt) cuit et les miettes  sont éparpillées dans de l’eau  sans y être bouillies.

Le kwas russe qui dérive clairement du kas est en effet  toujours brassé à la manière sumérienne par les  paysannes slaves (et baltes).

La pasta émiettée se retrouve dans le monde gréco-latin sous le nom de tracta qui est fabriquée exactement de la même manière. Dans leur magnifique ouvrage sur la cuisine romaine antique (Grenoble, 1992), Nicole Blanc et Anne Nercessian  en ont reconstitué la recette. Elles conseillent de confectionner  la pâte des tractae en pétrissant de la  farine avec  de l’eau.  Le pâton est mis à sécher  avant d’être pressé contre une râpe /tamis. Les copeaux  qui en tombent sont ensuite bouillis. Dans le tractogalatus  (tractae au lait) et le pullus tractogalatus (poulet aux tractae et au lait), les tractae sont  pochées  dans du  lait, comme en Mésopotamie. Cette  analogie supplémentaire  conforte  encore d’avantage la filiation entre le  risnatu  / bappiru  et la tracta. De plus, certains me-s au lait et aux risnatu-s sont, à l’instar du pullus tractogalatus, à base de volatiles (canard, oie ou oiseaux;  les poulets  n’arrivant en Mésopotamie qu’au premier millénaire).

En émiettant les risnatu-s /bappiru-s  ou les tractae  superficiellement, on obtient des grumeaux plus ou moins gros; mais selon l’insistance avec laquelle l’opération est menée, ceux-ci se rapetissent et peuvent devenir aussi fins que des grains de sable en sorte qu’ils cessent d’être une pasta pour se transformer en  agent de liaison; les cuisiniers babyloniens et  leurs descendants gréco-romains les utilisent également   à ce titre.

PASTA grattugiata OU RAGIA

Nercessian et Blanc affirment que  la moderne  pasta frattugiata (ou ragia) descend en droite ligne de la tracta gréco-romaine: la pasta est émiettée  en la frottant contre une râpe - tamis, tandis que  les tortillons préalablement séchés  sont pochés dans un bouillon.

Scappi  représenté deux gratte cascio (râpes à fromage) dans ses Opera (Venise, 1570); d’après  l’historien marocain  Mohamed  Oubahli,  qui a défendu avec éclat une  thèse de doctorat à l’E.H.E.S.S. (Paris) sur l’alimentation céréalière en al-Andalus au Moyen Âge, la gratta cascio sert également à  réaliser  de la pasta  grattugiata.

NEIGE DE FLORENCE

La pasta  grattugiata  est   introduite  en France  par  Escoffier qui l’appelle  “neige de Florence”. En effet,  le poète romain Tibulle comparait les tractae à des flocons neigeux qu’on tire d’une toison laineuse.

KISKH  ET TRAHANAS

Du fait que la pâte émiettée est susceptible de passer à l’état de farine, Mohamed Oubahli la compare au kiskh proche-oriental. Celui-ci est un sous-produit du boulgour / bourgoul (= blé étuvé, séché au soleil  et concassé), trempé dans de l’eau chaud et puis dans du lait caillé où il subit une fermentation lactique lui donnant une agréable  saveur acide.  Le kiskh  possède  généralement un aspect farineux  et sert  aussi bien  d’agent de liaison que d’exhausteur de goût. Mais il peut également se présenter en grumeaux qui,  cuits en milieu humide, constituent ipso facto une pâte émiettée. Étant donné que, contrairement aux risnatu-s  / bappiru-s et aux  tractae, le kiskh  est  lacto-fermenté, ses pluches se rapprochent   davantage du trahanas  xinos (= acide) dont   le pâton, à base de farine  pétrie avec du lait sûri, est  après séchage frotté  contre un tamis grossier;  les miettes sont ensuite  bouillies dans un potage. Par contre, le trahanas glukos (= doux)  est un descendant direct  de la tracta avec laquelle il partage  en outre la même  étymologie: du verbe latin trahere = étirer. Les trahanas se retrouvent non seulement en Grèce, mais aussi en Macédoine, Turquie, Iran et  dans  d’autres régions du Proche et Moyen-Orient.

La Chine est la seconde patrie de la pasta. La tradition des pâtes de blé y a un peu plus de  1700 ans(contrairement à celle des pâtes de millet qui leur sont antérieures). Au IIIe siècle, le poète Shuxi  évoque les premières  sous le nom générique de bing; selon ses dires, ils viennent de faire leur entrée-en-scène et ont été empruntées à l’étranger.  Leurs origines sont en effet moyen-orientales et méditerranéennes. Les “routes de la soie” étant déjà bien connues et fréquentées durant l’Antiquité, les échanges entre Occident,  Moyen-Orient  et Extrême-Orient ne sont pas exceptionnels. Les  paste  émiettées ont eu d’autant moins de difficulté à pénétrer dans l’Empire du Milieu qu’elles  sont séchées. 

Selon la sinologue française Françoise Sabban,  les Chinois les appellent ca gedou (Les pâtes, Paris, 2001). La thèse susmentionnée de Mohamed Oubahli contient au demeurant  le dessin  d’une râpe - tamis  birmane contre laquelle est émiettée la pâte (en l’occurrence, de riz). Cela dit, les “routes de la soie” ne sont pas à sens unique. Ainsi, les mantous-s (des raviolis) évoqués au IIIe siècle par Shuxi sont servis à la table du Grand Turc au XVe siècle sous le nom de manti-s. De même, les techniques chinoises  du trempage dans l’eau (pour les pâtes dites shuiyin ,signalées dès le VIe siècle) et du moulage dans le creux formé  entre les deux paumes réunies de la main (à l’instar de la “galette d’or”, une pièce de monnaie ronde et plate qui, selon Sabban, serait la forme originelle des bing) sont connues dans l’Empire ottoman en ce même XVe siècle sous le nom de salma. Chirvani en donne la recette dans son livre de cuisine traduit partiellement en français par Stéphane Yérasimos (Paris, 2001).

FEN CHINOIS

La pâte émiettée contre un  tamis  ne doit pas être confondue avec la pâte tamisée qui est  pressée à travers un tamis ou  tout autre récipient troué. Cette technique typiquement chinoise est, selon  Françoise Sabban, réservée aux pâtes d’amidon (fen). Les filaments qui passent  dans les trous tombent  directement (donc sans séchage préalable)  dans un bouillon qui  fixe leur forme (tige, brindille, paille, fil). Mohamed Ouhbali illustre, dessins à l’appui, cette méthode du pressage de la  pâte à travers un ustensile troué qui inaugure en somme la presse à filière...

KACHE D’ESCOFFIER

Escoffier adopte cette méthode en provenance de Chine pour réaliser ses kache: une pâte de semoule pétrie avec des  oeufs  est passée à travers un gros  tamis.

COUSCOUS BERBÈRE

Le couscous  a, lui aussi,  recours à un tamis ou van.  La pâte à base de semoule de blé dur mêlée à de l’eau  est  façonnée du bout des doigts,  afin que  les grains s’agglutinent; elle  est roulée sous les paumes de la main jusqu’ils soient réduits à la taille de têtes de fourmis. Puis on les vanne dans plusieurs tamis  afin de  les calibrer.  Contrairement à la plupart des autres pâtes (qui sont bouillies),  le couscous est cuit à la vapeur. Il apparaît  en Afrique du Nord-Ouest au cours du  Moyen Âge (Xe siècle) et serait d’origine berbère.

LUOSO CHINOIS

Le luoso chinois, qui lui est antérieur (VIe siècle),  est presque fabriqué de la même manière: il est à base de grains de millet trempés et mélangés à de la farine. Sabban écrit que  la “pâte” est façonnée en forme de fève par écrasement au fond d’un van. Ce mouvement ressemble fort  au roulement maghrébin...

LA FREGOLA SARDE

La fregola est à cheval entre la pâte émiettée et le couscous roulé. Du fait qu’elle est quelquefois torréfiée, la fregola  évoque le qaiiatu mésopotamien qui  est aussi  légèrement grillé. La fregola est une spécialité sarde qui est souvent accompagnée de palourdes voire de  langouste.

Les tarhonyas sont des pâtes émiettées, fabriquées avec de la farine, des oeufs et de l’eau, à l’instar de la pasta ragia ou grattugiatta italienne. Leur nom est emprunté au turc tarhanas qui vient, lui-même, du grec trahanas , dérivé du latin tracta = pâte émiettée. Celle-ci tient son nom du verbe trahere = tirer car, comme le spécifie au IIIe siècle le gastronome grec Athénée dans les Deipnosophistes, on doit tirer avec les doigts des petits grumaux d’un pâton qui est fabriqué avec de la semoule de blé dur ou de la farine de blé tendre, de l’eau et éventuellement des oeufs. 

Si les modernes trahanas emploient les mêmes types de céréales que les tractae antiques, ils sont par contre pétris avec du lait, soit cru, soit fermenté (et non avec de l’eau). Les trahanas se présentent donc sous deux versions: les glukos (doux) et les xinos (acides), qui ont parfois une saveur rance très appréciée par les connaisseurs. 

Les Turcs ne jurent que par eux; ce que explique sans doute pourquoi ils ont déformé trahanas en tarhanas , le passage de “tr” vers “tar” étant intervenu sous l’influence de talkhineh, signifiant justement lait fermenté (séché) en perse et aussi connu sous le nom de kashk (kishk en arabe). Ce dernier peut en outre désigner une pâte émiettée; mais, contrairement aux tarhanas, le kashk / kishk est à base de burghul (blé concassé et étuvé). Aurait-il un rapport avec le kache ou kacha russe dont Escoffier donne une recette? Si le grand chef français y voit un genre de spätzle exclusivement à base de semoule et d’oeufs, donc sans agent fermentescible, le botaniste polonais Maurizio range par contre la kacha parmi les plats de céréales lacto-fermentées.

Les trahanas se retrouvent sous la grapie grecque en Serbie, Macédoine, Roumanie, Albanie, Bulgarie ou Slovénie . Assez curieusement les Hongrois ont adopté l’apellation turque (partant de “tar”), alors que leurs tarhonyas ne contiennent aucun élément acide ni même lacté. 

Quant à la technique de l’émiettage, elle varie; d’aucuns se bornent à façonner un pâton préalablement séché (au soleil) et, soit en tirent des granulés à la main (comme les Anciens) ou, soit le frottent contre une râpe (au XVIe siècle Scappi conseille d’utiliser à cet effet une gratta cascio , un gratte-fromage). D’autres abaissent le pâton et le découpent en bandes qu’ils font sécher et les émiettent ensuite manuellement ou mécaniquement. 

Cela dit, les tarhonyas hongrois sont introuvables en Occident; il faut aller en chercher à Budapest ou les remplacer par de trahanas doux (qu’on trouve chez certains épiciers grecs), voire par de la pasta ragia (marque Dallari). Si vous ne parvenez pas à vous en procurer, vous pouvez évidemment tenter de confectionner les tarhonyas vous-même. 

En voici une recette facile:

Tarhonyas

Pétrissez ensemble 250 gr de farine, 2 oeufs entiers et 1 jaune avec un peu d’eau et de sel jusqu’à l’obtention d’une pâte ferme. Laissez-la reposer pendant quelque temps. Emiettez-la ensuite avec les doigts ou en vous servant d’un gratte-fromage. Laissez sécher. Cuisez-les comme prévu dans la recette. 
Le garum est le nom latin d’un condiment à base de poissons saumurés et lacto-fermentés. Il est incontournable dans la cuisine romaine et subsiste aujourd’hui dans différents pays méditerranéens, qui en font toutefois un usage discret et souvent méconnu. Par contre, en Extrême-Orient le garum continue de récolter un franc succès et y porte des appellations très variées, dont la plus célèbre est sans conteste le nuoc-nam. 

Le garum peut se présenter sous forme solide (purée, pâte) ou liquide (jus, sauce). L’éminent latiniste français, spécialiste de la cuisine romaine, Jacques André affirme que la première précède la seconde. Le processus de fermentation lactique parcourt en effet différents stades. Dans un permier temps, les poissons restent entiers et ne perdent pas leur intégrité. Durant l’étape suivante, leurs chairs commencent à se disloquer. Elles tombent en bouillie avant de se liquéfier progressivement à la faveur d’une réaction biochimique, appelée hydrolyse enzymatique, au cours de laquelle les poissons sont littéralement “autodigérés” par leur propre tube digestif. Si la fermentation n’est pas arrêtée à ce moment-là, le mécanisme de putréfaction s’enclenche ... 

La présence de sel, un antiseptique, est néanmoins nécessaire pour assurer le bon déroulement de l’opération. Des agents pathogènes risquent en effet de s’interposer à tout moment et de gâcher le garum ; celui-ci dégage alors des effluves tellement nauséabonds qu’il répugne les aventureux les plus aguerris et les met ainsi à l’abri d’une éventuelle intoxication alimentaire. 

En revanche, le garum réussi est bénéfique pour la santé; il est notamment riche en vitamine A et en acides aminés. Son odeur est cependant susceptible de déranger des narines délicates, qui sont d’ailleurs incommodées de la même manière par le non moins puissant fumet qu’exhalent les grands crus fromagers. 

1) HALLEX VERSUS GARUM 

À l’origine, le garum solide surnommé hallex est obtenu en arrêtant la fermentation lactique dès que les chairs tombent en bouillie et donc avant qu’elles n’aient le temps de s’hydrolyser. Le célèbre naturaliste romain du Ier siècle de notre ère, Pline le confirme en écrivant que l’hallex est “la lie du garum non parvenue à son terme”. 

Il se fait avec des poissons courants en Méditerranée, voire avec des fruits de mer luxueux. Pline apprécie en particulier le très raffiné hallex d’huîtres. Bien qu’ayant la consistance d’une pâte, celui-ci évoque irrésistiblement la sauce aux huîtres chinoise, une variante du nuoc-nam. 

Le garum liquide dit aussi liquamen qui entre en scène à partir du Ier siècle de notre ère n’aboutit toutefois pas à une hydrolyse complète, en sorte que des résidus solides demeurent au fond du vase. Ce reliquat est également appelé hallex et remplace progressivement son homonyme de la génération précédente. Mais le nouveau venu est considéré comme un sous-produit, juste bon pour les esclaves; manifestement, les Anciens ignoraient sa richesse nutritionnelle .... 

Une des recettes les plus complètes de garum liquide / liquamen est livrée par l’agronome Gargilius Martialis et figure dans une compilation tardive d’origine byzantine: les Géoponiques, datant du Xe siècle: 

“On prend des poissons gras, saumons, anguilles, aloses, sardines... et, avec ces poissons, des herbes aromatiques sèches et du sel, on fait la préparation suivante: on choisit un vase solide et bien poissé d’une contenance de trois ou quatre boisseaux (26 à 35 litres) et on prend des herbes sèches, aneth, coriandre, fenouil, céleri, sarriette en tête, sclarée (Salvia sclarea L. appelée aussi orvale, une espèce de sauge), rue (ruta graveolens L. parfumant la bonne grappa italienne), menthe, menthe sauvage, livèche (que les Suisses appellent herbe à maggi et qui a donné son nom aux célèbres potages déshydratés, dans lesquels elle intervient toujours), pouliot (Mentha pulegium L., une variété de menthe), serpolet, origan, bétoine (Stachys officinalis L. , une plante médicinale, dont les feuilles ont la réputation d’être sternutatoires), argémone (Agrimonia eupatoria L. faisant partie de la famille des papavéracées, censée guérir l’argémon, une maladie oculaire), dont on dispose une couche au fond d’un vase. Puis on fait une autre couche de poissons, entiers s’ils sont petits, coupés en morceaux s’ils sont gros. Par-dessus, on ajoute une troisième couche épaisse de deux doigts, faite de sel. On remplira ainsi le vase jusqu’au sommet en alternant ces trois couches d’herbes, de poisson et de sel, on fermera avec un couvercle et on laissera ainsi sept jours. Ensuite, pendant vingt jours successifs, on remuera ce mélange jusqu’au fond. Au bout de ce temps, on recueille la liqueur qui s’en écoule”... dans une amphore gravée d’une A.O.C. avant la lettre. En revanche, le résidu ou hallex n’a droit qu’à un conditionnement anonyme. 

Le garum n’est pas toujours utilisé “nature”. Mélangé à de l’eau, il s’appelle hydrogarum, à du vinaigre oxygarum, à du vin oenograum, dont la “fleur” fluide et exempte de tout condiment, gari flos per se, possède une robe dorée et une saveur si agréable qu’elle peut se boire comme du vin, dixit Pline. 

En raison de son bouquet ravageur, le garum n’en demeure pas moins controversé, tout comme d’ailleurs le puant mais royal époisses de Bourgogne. Le satiriste Plaute (IIIe siècle avant notre ère) ne semble pas l’aimer : son hallex viri (= d’homme) est une insulte signifiant “pourriture”... 

Bien qu’il l’apprécie, Pline reconnaît que le garum possède une odeur ingrate: odore quoque ingrato ceu gari . Des remèdes sont d’ailleurs proposés pour atténuer celle-ci. Le pseudo-Apicius conseille, par exemple, de fumiger le vase préalablement vidé avec du laurier ou du cyprès. Quelle hérésie! Elle équivaut à parfumer un fromage ‘fait à coeur’ avec du patchouli! 

2) GAROS ET SIQQU 

Les Romains n’ont pas inventé le garum . Ils l’ont hérité des Grecs qui le connaissent au moins depuis le VIe siècle avant notre ère et l’appellent déjà garos , signifiant aussi petit poisson. 

Ses origines sont probablement babyloniennes. Trois tablettes contenant des recettes culinaires en écriture cunéiforme et datant d’environ - 1700 (ayant été traduites par Jean Bottéro) le mentionne sous le nom akkadien de siqqu . 

3) MURIATICA SALSA

La fermentation lactique permet aussi de conserver des poissons saumurés entiers voire en filets, donc sans qu’aucun processus de décomposition ne se mette en route. La méthode employée est notamment décrite par les agronomes romains (cf. Columelle, Varron). Le poisson est jeté dans des bacs remplis de saumure où ils séjournent à l’abri de l’air jusqu’à saturation. Ces conserves appelées muriatica salsa ne sont, elles non plus, pas toujours réussies et Columelle conseille de donner celles qui sont pourries aux poissons des viviers. 

Les muriatica salsa se distinguent des piscis salsus , des poissons séchés dans du sel. Ils deviennent plus durs que l’airain et doivent dégorger longuement dans de l’eau douce avant d’être consommés. Aujourd’hui, on procède de la même façon avec la morue (bacalhau en portugais). Le thon salé appelé melandrya est le plus recherché; sa rigidité est telle que Pline le compare à une planche...

4) MURRI 

Les Arabes qui, au VIIIe siècle, fondent les califats abbasside à Bagdad et omeyyade à Cordoue y lancent deux types de garum rebaptisé murri (sans doute en souvenir des muriatica salsa ) . Contrairement à l’ancêtre romain, il ne se fait pas uniquement avec du poisson mais aussi avec des céréales. Le Maghrébo-Andalou Ibn Razin Tujibi décrit leurs modes de fabrication dans le livre de cuisine qu’il rédige vers 1250 et intitule Fudalat al-Kiwan (Les délices de la table). 

- MURRI D’ANCHOIS 

Sa recette de murri d’anchois diffère toutefois de celle du garum antique: un demi-litre de jus de raisin (= moût) est mélange avec 500 gr d’anchois frais. Le tout est brassé et ensuite tamisé. Le filtrat est mis à fermenter jusqu’à ce que “son bouillonnement se calme”. Autrement dit, ce murri subit une fermentation alcoolique et évoque la flos per se de l’oenogarum appréciée par Pline. L’élaboration de ce dernier se fait toutefois différemment : en mélangeant simplement du liquamen “extra-vierge” (sans épices ni aromates) avec du vin. 

Le murri de poisson n’est en principe pas destiné à être bu mais à assaisonner des mets. Tujibi stipule qu’il sert notamment à napper des oeufs frits. À l’instar de son collègue agronome Ibn Luyun, l’auteur des Délices de la table laisse en outre entendre que le murri d’anchois est interdit, comme tout autre produit alcoolisé. Pourquoi en décrit-il alors la procédé de fabrication? Sans doute parce que la civilisation maghrébo-andalouse est multiculturelle et applique les préceptes d’Allah avec un certain laxisme! Le vin y coule d’ailleurs à flots... 

Tujibi aurait néanmoins pu recourir à la technique du garum romain “nature”, d’autant plus que Cadix en était un des plus importants centres de production et que le procédé antique n’y est pas tombé en désuétude au Moyen Âge. La spécialiste de la gastronomie maghrébo-andalouse, Lucie Bolens en a retrouvé différentes mentions dans les textes scientifiques et littéraires produits sur la Péninsule ibérique avant la Reconquista . La négligeance de Tujibi est d’autant plus étonnante que les Arabes se sont efforcés de sauver et perpétuer l’ensemble des sciences gréco-romaines, non seulement en Orient mais aussi et, surtout, en Extrême-Occident.

- MURRI DE CÉRÉALES, SHOYU ET ZUR 

En revanche , le murri de céréales (blé, orge) saumurées et lacto-fermentées est inconnu des Anciens. Ce condiment est sans doute également très vieux et à première vue d’origine mésopotamienne. Murri est en effet dérivé de l’akkadien muratum signifiant saumâtre. Il est, de surcroît, le protoype des shoyu-s / miso extrêmes-orientaux, qui sont des sauces/ pâtes lacto-fermentées à base de soja (une légumineuse) et de blé (une céréale). 

Par ailleurs, le murri liquide se rapproche du zur polonais, un jus lacto-fermenté fait à partir de blé et, lui-aussi, connu depuis la nuit des temps. 

Que cette connexion entre le monde slave et mésopotamien ne nous surprenne pas. La bière paléo-babylonienne, fabriquée avec du pain, est appelée kas en sumérien, ayant donné kwas en russe, qui est aussi une bière de pain. 

Le zur est en outre à l’origine de la braga également polonaise qui est une autre espèce de bière, s’inscrivant dans le continuum de la cervoise celte. Celle-ci démarre à partir d’une bouillie liquide de malt. Il s’agit, en l’espèce, d’une céréale ayant subi une germination intervenant naturellement en milieu humide et transformant l’amidon des graines en sucres fermentescibles, c’est-à-dire susceptibles de se transformer en alcool sous l’action de levures. La technique brassicole moderne qui est fondée sur des règles analogues appelle cette bouillie: “salade”.

À l’instar du zur et du shoyu, le murri de céréales n’est pas alcoolisé et peut donc être consommé sans crainte par les adeptes inconditonnels du Coran. Le dernier semble cependant avoir disparu de la cuisine arabe. Lucie Bolens signale encore sa présence en Algérie au XVIIe siècle. 

5) LES MODERNES CONSERVES DE POISSONS LACTO-FERMENTÉS 

Actuellement, les méthodes de conservation du poisson ont fort évolué (cf. appertisation, surgélation) en sorte que la fermentation lactique lui est de moins en moins appliquée. Les principales exceptions concernent le hareng et, surtout, l’anchois. Si les plus connues font partie de la famille des muriatica salsa , quelques confections perpétuent néanmoins le garum .

- TIDBIT ET SURSTRÖMMING

Le hareng a surtout du succès dans les pays nordiques; il y est conservé à la façon des muriatica salsa , donc sans la moindre décomposition. 

Pour réaliser le tidbit islandais, les pêcheurs disposent les harengs fraîchement attrapés dans des tonneaux, avec du sel, du sucre et des épices (cardamome, poivre, coriandre, gingembre, cannelle). Dès que la saumure les recouvre entièrement, les tonneaux sont fermés et placés dans la cale du bateau, où ils restent jusqu’à l’arrivée au port. À terre, les tonneaux sont entreposés dans un endroit frais, où se produit la maturation qui peut durer un an. Les harengs sont ensuite égouttés, leurs filets sont levés et conditionnés dans du vinaigre. 

Quoique le surtrömming suédois repose sur un principe comparable, les harengs produisent en cours de fermentation un dégagement gazeux pour le moins étonnant et parfaitement exceptionnel, n’ayant pas encore été analysé de façon concluante par les biochimistes. Ceux-ci ont simplement pu établir qu’il s’agit d’hydrogène sulfuré. Son odeur bien connue d’oeufs pourris s’échappe des douves des tonneaux en sorte que seuls les anosmiques osent s’en approcher... Rien d’étonnant dès lors qu’il ne ne soit apprécié que par les noctambules imbibés qui, grâce à son violent remugle, sont remis d’aplomb et peuvent même recommencer à faire la fiesta; le surtrömming est en effet hypersalé et dessèche complètement les gosiers qui doivent à nouveau être arrosés! Bien que les harengs aient évidemment perdu leur fermeté, ceux-ci gardent néanmoins leur intégrité et ne sont pas réduits en bouillie, comme l’hallex. Le surströmming s’en distingue aussi parce qu’il envoie des gaz puants et risque de produire pour cette raison des effets pour le moins spéciaux. La boîte qui le contient explose comme une bombe quand on la transporte en avion! C’est pourquoi il est en principe interdit à l’exportation... 

Dans les régions méditerranéennes, l’anchois est le favori de la fermentation lactique. Le procédé utilisé est comparable à celui mis en oeuvre pour la muriatica salsa (et donc le tidbit ): les anchois saumurés sont disposés en couches superposées dans des fûts qui sont hermétiquement couverts. Ils y restent pendant 4 à 6 mois pour être ensuite reconditionnés dans de l’huile. On lève généralement les filets qui sont souvent roulés et enveloppent un câpre au vinaigre. Ce mariage est incontestablement une remanence de l’oxygarum . 

Comme durant l’Antiquité, des accidents se produisent. Nous avons, en l’occurrence, eu une surprise très désagréable avec des conserves d’anchois à l’huile qui étaient complètement faisandés. 

- PISSALAT

Quelquefois les anchois lacto-fermentés sont broyés et mélangés à du vinaigre et des aromates. Cette pâte est conditionnée dans un tube aux fins de commercialisation et sert notamment de base à la confection de l’anchoyade, une spécialité de Draguignan, qui est une autre remanence de l’oxygarum. 

L’ Œhallex (première génération) survit en Provence sous son nom d’origine tout au long du Moyen Âge voire au-delà. Ensuite il est rebaptisé pissalat. Reboul décrit sa préparation dans La cuisinière provençale (Marseille, vers 1880). Elle est identique à celle évoquée par Pline: des anchois fraîchement pêchés sont entassés dans des barils en couches alternées avec du sel et couverts. Ils sont abandonnés à eux-mêmes durant 8 jours. Ensuite les poissons en voie de décomposition sont passés au tamis et la purée ainsi obtenue est conservée dans des pots de verre placés dans un lieu frais. Le pissalat entre dans la farce de la pissaladière (qui lui doit son nom), une délicieuse tourte provençale n’ayant donc rien à voir avec la pizza napolitaine. 

Le pissalat se fait parfois avec de la melette (un genre d’esprot) et est alors surnommé melet. 

- COLATURA D’ALICI 

La colatura di alici (coulis d’anchois) de Cetera (proche de Salerne et d’Amalfi) est par contre un héritier du liquamen. Sa fabrication diffère légèrement de celle de l’ancêtre romain. Ne pouvant faire agir l’hydrolyse enzymatique, étant donné que les poissons ont été vidés de leur tube digestif, un autre moyen est utilisé pour liquéfier la chair: celui de la double fermentation. Des anchois déjà lacto-fermentés sont soumis à une seconde maturation au cours de laquelle ils passent également de l’état solide à l’état liquide. La colatura di alici est déjà fabriquée de cette façon au XIIIe siècle par les moines cistériens de S. Pietro di Tuczolo. Leur façon finit par supplanter le procédé antique. Durant le Moyen Âge central, la recette de Gargilius Martialis est au reste quasiment tombée en désuétude sur la Péninsule italique. 

Aujourd’hui, la colatura di alici est principalement utilisée dans la cuisine amalfienne et aromatise de délicieuses sauces pour spaghettis ou linguine. 

- GAROS GRÉCO-TURCS

Le garum ou garos fabriqué selon les recommandations de Gargilius Martialis survit par contre au sein de l’Empire byzantin où, comme on l’a vu, la formule continue d’être recopiée (cf. supra dans les Géoponiques ). Les Ottomans l’adoptent à leur tour lors de la prise de Constantinople (1453). Au XVIe siècle, le naturaliste français Belon y signale sa présence dans son célèbre ouvrage : Les observations de plusieurs singularités et choses mémorables trouvées en Grèce, Asie, Judée, Egypte, Arabie et autres pays étrangers . 

Aujourd’hui on peut encore dénicher du garos dans certaines régions de Grèce et de Turquie. 

- NUOC-NAMS EXTRÊMES-ORIENTAUX

C’est toutefois en Extrême-Orient que l’on retrouve les plus nombreux descendants du garum aussi bien solide que liquide. Il n’est pas exclu que la Mésopotamie, berceau possible des condiments de poissons lacto-fermentés (siqqu - cf. supra), ait joué un rôle dans leur diffusion sur le Continent asiatique, de la même manière qu’elle les probablement transmis à l’Occident. 

La forme liquide du garum asiatique est connue en Europe sous le nom vietnamien de nuoc-nam, un descendant du liquamen et une variante de la colatura d’alici . Le nuoc-nam est réalisé avec des anchois non vidés et résulte d’une fermentation lactique se combinant à une hydrolyse enzymatique. Le nuoc-nam vendu en Europe n’a cependant rien à voir avec la version originale dont l’odeur est sans doute encore plus pénétrante que celle du garum ; pour cette raison, les fabricants en ont créé une variété édulcorée destinée à l’exportation. Les nuoc-nams “hards” circulent à peu près partout en Extrême-Orient, quoique souvent sous d’autres appellations: nampla en Thaïlande, budu en Malaisie, kaomi et ounago au Japon. Signalons que ce pays fabrique également une curieuse conserve de bonite (variété de thon), à la fois fermentée, séchée et fumée, aussi dure que du bois. Les Japonais ne la font pas ramollir dans de l’eau mais la râpent avant de l’utiliser en cuisine. Est-il possible que cette conserve de bonite du Pays du soleil couchant soit l’héritier de la melandrya gréco-romaine?

Par ailleurs, le garum solide survit dans le trassi indonésien, le prahoc cambodgien, le mam vietnamien. Ces pâtes de poisson sont confectionnées de la même manière que le pissalat ou l’hallex de la première génération (obtenus sans hydrolyse). Elles ne sont en principe pas exportées en Occident. 

Les jus et pâtes extrême-orientaux sont par conséquent élaborés séparemment, à l’instar des condiments issus de la fermentation lactique du soja: shoyu (sauce de soja) et miso (pâte de soja). À l’origine, ceux-ci étaient néanmoins aussi obtenus en même temps. Une hydrolyse incomplète permettait de réaliser à la fois un produit solide et un produit liquide, comme dans la recette de Gargilius Martialis destinée toutefois aux poissons. 

Les Philippines sont le seul pays au monde où on fait encore du garum selon cette manière. Des anchois non vidés, saumurés et lacto-fermentés subissent une hydrolyse partielle. La liqueur ou liquamen qui s’écoule du vase s’appelle pastis, tandis que le résidu (hallex “nouvelle vague”) est baptisé bagoong .

- WORCESTERSHIRE SAUCE

Un mot pour terminer sur la Worcestershire Sauce, également à base d’anchois saumurés, qui est manifestement un souvenir de la colonisation de l’Asie par l’Empire britannique. Elle peut être considérée comme un avatar du nuoc-nam mais arrangé à l’anglaise et trahissant sans vergogne son modèle extrême-oriental ...

Le ketjap manis, une sauce au soja aigre-douce d’origine indonésienne, a connu une aventure comparable. Les fast-fooders anglo-saxons l’ont complètement dénaturée et en ont fait le fameux ketchup pour junkies... 
Les pâtes grumiformes sont nombreuses; elles ont la forme de de grumeaux, à l’instar des bien nommés  grumi di grano saracenico du Trentin.  

“Couscous grossier”

Il désigne les pâtes grumiformes obtenues  au cours de la première étape de la préparation du  couscous (“touillage collectif”) et n’ayant donc pas fait l’objet d’un calibrage. Le “couscous grossier” est en principe cuit à la vapeur. Il n’est pas préparé mécaniquement et ne se trouve donc pas dans le commerce.

Fregola Mereu

Il s’agit de la variante  grumiforme de la fregola pisiforme qui est réalisée exactement de la même manière que le “couscous grossier”: c’est-à-dire  par “touillage collectif”, sans calibrage.  La fregola grumiforme  est pochée et souvent fabriquée en usine, notamment par Mereu.

Grumi di grani saracenico 

Eux, aussi,  sont obtenus de la même manière que le “couscous grossier” (“touillage collectif” sans calibrage), mais les grumi sont pochés dans du lait.

Maftoul

Le maftoul est une pâte grumiforme  fabriquée de la même manière que le  “couscous grossier” (“touillage collectif” sans calibrage); toutefois il  est plus souvent   à base de bourghol que de semoule. Le maftoul est cuit dans de l’eau voire du bouillon, comme du riz, c’est-à-dire jusqu’à absorption complète du liquide.

Oxfam vend du maftoul roulé à la main par les paysannes palestiniennes. 

Trachanas, xinochondros, kishk et frascarelli

Le trachanas est une pâte grumiforme d’origine grecque qu’on trouve en Europe de  l’Est (Pologne, Hongrie), dans les Balkans (Macédoine), en Turquie (tarhanas), ainsi que dans le Proche et Moyen Orient (au Liban il s’appelle al-tirkan). Il n’est pas  fabriqué par  “touillage collectif” mais  par émiettage ou rapâge (comme la bien nommée pasta grattugiata). Le trahanas est poché.

Xinochondros  

Le xinochondros est la variété crétoise du trachanas. Cette  pâte grumiforme est fabriquée selon une autre méthode . Elle  est, en l’occurrence,  faite à partir d’une pâte non pétrie, autrement dit  d’une bouillie  à base,  soit de farine ou semoule de blé, soit de bourghol (appelé pligouri en grec), qui sont mêlés à du  lait sûri ou non; la panade est  cuite jusqu’à  durcissement  de façon à ce qu’elle   puisse être   morcelée en grumeaux.  Ceux-ci  ont une morphologie plus grossière que les trachanas. Ils sont  également sont   pochés. Les grumeaux de  xinochondros sont parfois  réduits en particules plus fines  voire en farine; dans cette hypothèse on les écrase  avec un rouleau  et  les passe à travers un tamis, de la même manière qu’on fait pour obtenir de la chapelure.

Kishk

Le kiskh libanais  à base de bourghol (jamais de semoule ou farine de blé) est apparenté au xinochondros. Son mode de préparation est néanmoins plus complexe et se déroule en plusieurs étapes.  Du bourghol est mouillé   avec un ou plusieurs dérivés de lait qui est toujours sûri (lait caillé, babeurre, yaourt).  La pâte (blile)  ainsi réalisée est mise à fermenter et  subit un pétrissage intensif. Des boulettes de la taille d’un oeuf  sont façonnées et séchées au soleil.  Elles sont ensuite  réduites en particules plus petites par  frottage entre les paumes des mains.  Des   portions ayant   la dimension d’une noix sont d’abord formées,  qui  se transforment progressivement en grumeaux puis en poudre. Un tamisage est  nécessaire afin  de séparer la dernière des premiers; ceux-ci  restent  au fond du faruti  (tamis), tandis que celle-là passe à travers les trous.  Aussi bien, le kiskh se présente-t-il à ce stade sous deux aspects:  en farine et en grumeaux de pâte qui  ont exactement la même configuration grossière que les grumeaux de  xinochondros. Contrairement à ces derniers,  les grumeaux  de kishk  ne sont pas bouillis; ils continuent à être manipulés jusqu’au moment où ils acquérent, à leur tour, un aspect farineux et ne font donc pas partie de la famille de la pasta.

Frascarelli

Les frascarelli sont des pâtes grumiformes originaires d’Ombrie obtenues d’une manière encore différente.  A base semoule de blé, elles  se font en roulant la pâte avec les doigts de la main dans un tamis (un “touillement collectif” simplifié en somme). La farine superflue passe à travers les trous de celui-ci, tandisque  les petits grumeaux (les frascarelli) s’étant formés au cours de ladite manipulation  sont retenus dans le tamis; ils sont ensuite   plongés dans de l’eau bouillante.  Autrement dit les pastiers italiens  font exactement le contraire de leur homologues libanais qui ne pochent pas les grumeaux du kishk.  De fait, en  Ombrie,  on ne cherche    pas de réaliser un produit farineux mais  une pasta  grumiforme.

Quid du bourghol ?  

Le bourgoul est fait avec  des grains de blé, qui sont concassés en grumeaux de différentes tailles  (grosses, moyennes, fines); ceux-ci sont étuvés et ensuite  séchés. Avant de les consommer, on les trempe en général quelques minutes dans un liquide afin de les hydrater et   ramollir; c’est ainsi qu’on procède notamment  pour la préparation  du  fameux tabboulé. Parfois les grumeaux de bourghol sont ajoutés dans un ragoût de viande aux légumes, dans le jus desquels ils cuisent. Leur appartenance à la famille de la paste  est néanmoins controversée du fait que le bourghol  n’est pas utilisé cru puisqu’il  a déjà été poché (étuvé). Cependant, cet argument n’est pas déterminant;  le couscous, lui aussi,  est précuit (à la vapeur). 

Le prototype des pâtes granuliformes est le couscous, une spécialité d’origine maghrébine.

Le couscous  

La fabrication manuelle du couscous, la piu piccola pasta del mundo, se fait par “roulage collectif” ou “touillage”  qui se déroule en deux étapes: 

1. Deux types de semoules de blé  de grosseurs différentes sont mélangées à de la farine, aspergées d’eau puis roulées  du bout des doigts. Au cours de cette manipulation nécessitant une grande dextérité de la main comme du geste, les matières s’agglomèrent pour   former des grumeaux  de tailles variées. 

2. Ensuite vient la phase du calibrage ou du roulage proprement dit devant aboutir à  la formation de granules aussi petits que des têtes de fourmi. Elle se fait à l’aide d’un van ou tamis. Après avoir subi une précuisson à la vapeur,  les granules sont mis à sécher au soleil sur les toits (plats) des maisons. 

Le couscous est utilisé pour confectionner un plat du même nom; les granules sont, en l’occurrence,  cuits à la vapeur  et arrosés d’un bouillon épicé  comprenant des légumes voire des viandes variés. 

Les espèces sorties des usines ont évidemment recours à des procédés mécaniques. 

Gros couscous, barkulash, m’hamsa

Le gros couscous  aussi appelé barkukash ou m’hamsa est, comme l’indique son nom, beaucoup moins fin que le couscous classique. De fait, il possède une dimension variant entre un grain de coriandre et un pois (= pisiforme). Le gros couscous préparé manuellement peut suivre la procédure du “roulage collectif” ou bien adopter  un autre système: celui du roulage “grain par grain” entre les doigts, un travail  fastidieux et peu productif. 

Contrairement au couscous classique, le gros couscous (barkukash  ou m’hamsa) est bouilli et non cuit à la vapeur. 

Lui, aussi,  est souvent  fabriqué mécaniquement dans les usines.

Moghrabiyye

La variété orientale du gros couscous   s’appelle moghrabiyye (signifiant la “maghrébine”). Mais celle-ci est en général à base de bourghol, plus rarement de semoule. Sa préparation  manuelle se fait  par “roulage collectif” voire “grain par  grain”.  Cependant la  moghrabiyyé est le plus souvent  fabriquée mécaniquement en usine.

Avant d’être bouillie, la  moghrabiyyé doit être blanchie puis roulée dans du smen (beurre clarifié et fermenté) afin que les grains ne s’agglomérent pas.

Fregola  

La fregola   est la  variété sarde du gros couscous. Elle est préparée de la même manière que son homologue maghrébine (“touillage collectif” ou roulage “grain par grain”), mais au lieu de subir  une pré-cuisson à la vapeur, elle est  torréfiée au four. Elle, aussi, est bouillie.  

La fregola est en général fabriquée mécaniquement en usine.

Recettes de fregola :
Fredola à la sarde
Fregola comme un risotto

Les plombs ne doivent en aucune manière être confondus avec les pâtes “grumiformes”; il s’agit en effet de spaghettis plus ou moins fins qui ont simplement été coupés en petits morceaux  plombiformes qui s’appellent souvent et inexactement couscous.

Au Portugal : cuscus

En Grèce: kouskousaki

Par contre en Espagne: maravilla

En Italie: peperoni (de pepe = poivre)


Bon appétit !

Egger Ph.